C’est une pratique des procureurs français stupéfiante pour le néophyte, révoltante absurdité administrative et comptable, preuve pour les associations de victimes d’une froide indifférence à leurs souffrances. Si un homicide reste irrésolu et que le dossier d’enquête, faute de piste, commence à prendre la poussière dans un cabinet d’instruction, ou s’il a fait l’objet d’un non-lieu faute de résultats et se trouve donc dans une zone grise juridique, il arrive qu’on détruise tout simplement les preuves, les pièces à conviction, appelées « scellés » en jargon judiciaire. « Scellé » car l’objet, enfermé dans un contenant refermé par un cachet de cire, est officiellement saisi par l’autorité judiciaire, devenant une pièce du dossier. Le plus souvent, leur destruction est un acte de pure gestion matérielle et financière. L’administration d’un tribunal, en la personne du greffier en chef, propose régulièrement au procureur de détruire une série de ces pièces, présentées sans référence particulière au statut des affaires qu’elles concernent. Cet acte peut donc mélanger les armes utilisées pour un homicide non résolu et les vêtements de la victime avec les pipes à crack saisies au domicile d’un trafiquant de drogue définitivement condamné, une moto accidentée qui a heurté un piéton dans un dossier réglé ou encore les bouteilles utilisées dans une bagarre d’ivrognes au bistrot. Une signature du procureur et tout part à la décharge ou à l’incinérateur, dans des services spécialisés. L’espoir de retrouver un jour un assassin finit donc en compost ou en fumée.
Jusque dans les années 1980, cette habitude ancienne était déjà très préjudiciable, puisque même si les crimes impunis sombraient dans les oubliettes plus encore qu’aujourd’hui, il pouvait toujours surgir un témoignage ou un élément nouveau conduisant à un suspect et à la réouverture du dossier. Depuis la première résolution d’un crime au Royaume-Uni par le recours à la technique de l’empreinte génétique en 1987 et surtout la création du Fichier français des empreintes génétiques (Fnaeg) en 1998, cette procédure relève de l’absurdité, voire de la forfaiture. Aucun magistrat ne peut ignorer qu’on peut désormais, grâce aux progrès de la science, isoler une empreinte, même sur un scellé vieux de plusieurs décennies, même avec une matière en quantité infinitésimale.
Néanmoins, le pôle « cold cases » de Nanterre ainsi que l’exhumation ponctuelle de vieux dossiers dans les juridictions territoriales ont mis au jour une impressionnante série d’affaires où ont été passées au pilon, même à l’ère de l’ADN, des pièces cruciales, qui auraient peut-être permis une élucidation automatique.