«Vous avez un sacré taux d’abstention, ça ressemble à la politique, on dirait les régionales ! », interpelle Yannick Jadot, goguenard et très grand dans son costard bleu sur un petit siège de la scène des Universités d’été de l’économie de demain. Au rassemblement des « entrepreneurs et dirigeants engagés » dans la transformation écologique et sociale, en cette fin du mois d’août, à Paris, la salle s’est un peu vidée après la fin de la master class d’Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone. Le public vient de participer, mollement donc, à un sondage en direct sur la mesure la plus urgente à mettre en place pour convertir les boîtes de France et de Navarre à la transition écologique. Le candidat à la primaire écologiste, dont le premier tour se tient dans moins de trois semaines, vient de jurer aux Jours n’être là qu’au titre de député européen, « pour témoigner de trente ans de combats pour l’écologie ». Il propose tout de même, l’air de rien, que « plus un euro d’argent public n’aille vers l’économie et les entreprises qui ne soient conditionnées à la question du climat » en France. Ce n’est pas d’une originalité folle, mais il faut bien pêcher là où frétillent les poissons.
Car figurez-vous que la primaire écolo est ouverte ! Et à tout le monde. C’est un vote en ligne qui départagera les cinq candidats
Et on ne se prive pas de rappeler que ça presse en cette fin août toujours, à l’« apéro virtuel » de Delphine Batho, en ligne, sur la santé. La centaine d’internautes présents aimeraient bien savoir comment la décroissance, thème phare de campagne de la présidente de Génération écologie, est compatible avec la recherche médicale ou la sauvegarde de l’hôpital public. En t-shirt rouge sur fond de mur de pierre, la députée des Deux-Sèvres rassure. « La décroissance, c’est la recherche d’un équilibre entre les nécessités humaines et la préservation du climat et du vivant, ce n’est pas la stagnation de la connaissance », répond-elle. Certains profitent de l’occasion pour poser la vraie question qui les amène : finalement, qu’est-ce qui la différencie des autres ? Et d’ailleurs, c’est quoi « l’autre écologie », sa baseline ? « C’est celle pour la décroissance, pour la République, pour l’indépendance de l’écologie politique », répond en direct Delphine Batho. « C’est très clair », lance Alexandre Florentin, seul élu de Génération écologie au Conseil de Paris, le modérateur de la soirée. Pas tant que ça à vrai dire, mais ça peut s’affiner. À la différence d’Éric Piolle, le maire de Grenoble, ou de Sandrine Rousseau, économiste lilloise revenue chez EELV pour se lancer en campagne, qui iront dans deux jours copiner aux « Amfis », les journées d’été de La France insoumise, pas question d’aller fricoter chez les gauchos, ni même de participer à la Primaire populaire en cas de victoire de Delphine Batho à la primaire écolo. « Cette logique d’unité de la gauche à l’ancienne à la recherche du plus petit dénominateur commun, c’est sauve-qui-peut et serrons-nous les coudes, ce n’est pas un programme d’écologie intégrale, et ça ne tient pas le choc d’une élection présidentielle », explicite-t-elle. Flot d’emojis avec pouce levé, tête avec cœurs à la place des yeux et cotillons sur les écrans.
La primaire écologiste, c’est très très vite ! C’est national ! Avant le 12 septembre, l’inscription ! Delphine Batho, elle est combative et tenace !
Ce n’est pas exactement ce qui attend Cédric Villani, ex-LREM et camarade parlementaire du collectif Écologie, démocratie, solidarité, désormais porte-parole de Delphine Batho sur le marché d’Aligre, dans le XIIe arrondissement de Paris, par un frais dimanche de pré-rentrée scolaire. « C’est l’été le plus déprimant que j’ai eu : les canicules, les inondations, l’Afghanistan… Mais sinon, perso, ça va », lance le député de Paris avant de se poster devant la halle avec sa pile de tracts, au diapason des étals. « La primaire écologiste, c’est très très vite ! C’est national ! Avant le 12 septembre, l’inscription ! Delphine Batho, elle est combative et tenace ! », hèle-t-il, entre les demandes, nombreuses, de selfies et les doléances, fournies, des riverains. « Mais il est chez qui maintenant, monsieur Villani ? », souffle une dame avec un chariot de courses, tandis qu’une autre siffle qu’elle connaissait Delphine Batho, mais « du temps de Ségolène ». C’est qu’on n’y retrouverait plus ses petits ! « L’axe gauche-droite n’est pas opérant dans l’Anthropocène !, confirme Alexandre Florentin, ingénieur de formation, arrivé à la bourre sur zone en soutien. Si vous ne parlez qu’à des gens dont le bilan carbone est en-dessous de 6 tonnes, vous laissez pratiquement tout le monde sur le côté. Delphine est hyper pro, à chaque fois qu’elle prend la parole, on a des arrivées dans nos rangs ! » C’est ainsi en effet que Perrine, 31 ans, qui bosse dans le conseil en transformation responsable d’entreprises, a décidé d’adhérer à Génération écologie il y a quatre mois à peine. « Je viens d’une famille catholique et je n’avais pas réussi à passer le pas de l’engagement politique, les postures militantes de gauche sont trop agressives, ça me rebutait. On est nombreux à avoir conscience de l’urgence écologique et à vouloir nous engager pour la première fois de notre vie », explique-t-elle dans son t-shirt trop grand siglé Génération écologie.
L’avant-veille, les Jeunes pour Piolle partis à la chasse aux votes sur les quais du bassin de l’Arsenal, près de Bastille, se passaient bien de ce genre d’attirail. « Le but, c’est de faire de la qualité, pas de la quantité, donc on cible les gens qui ont déjà l’air de voter écolo », explique Lisa-Juliette Lazizi, étudiante en économie de 22 ans, rodée au parti de Benoît Hamon Génération.s, à son camarade Adrien qui se lance aujourd’hui. « Tu commences en disant que c’est le premier maire écolo d’une grande ville et qu’il a été réélu. » « C’est quoi la ville ? », se fait préciser Adrien. Partant de là, pourquoi Éric Piolle comme programme pour ce vendredi soir ? « Nous, à Génération.s, on est allés sur les tendances à gauche, tranche Lisa. J’ai hésité avec Rousseau, ça colle sur le social, mais c’est trop radical, il faut y aller avec un peu plus de calme. De toute façon, au deuxième tour, il y a de fortes chances qu’ils fassent alliance. » Ça mord mollement chez deux jeunes femmes paysagistes et bientôt trentenaires qui débattent des énergies renouvelables devant un demi, n’ont pas voté depuis des années et ignorent tout de l’existence d’une primaire écologiste. L’une prend le tract quand même parce que sa grand-mère l’incite à retourner voter. « L’écologie, elle devrait être dans toutes les campagnes, et puis cette notion de leader, c’est un peu mort », justifie l’autre.
Ce qui diverge du point de vue de Zélie Geneix, 20 ans, responsable de la coordination des comités locaux qui tracte à quelques pas de là. Éric Piolle n’a pas encore bouclé son tour de France estival, mais à écouter la jeune femme, c’est le circuit du messie. « Tous les jours, quelqu’un m’appelle : ils l’ont rencontré, ils veulent s’engager, ça émerge de partout ! », souligne-t-elle, en précisant qu’il existe désormais une centaine de comités hexagonaux. Elle-même, lors d’un meeting à Tours, a eu un coup de cœur pour « sa sincérité et son expérience » qui n’a pas nécessité de comparer son programme avec ceux des autres candidats à la primaire écolo. « Mon instinct m’a guidé vers la bonne personne », souligne-t-elle. De toute façon, pour Théo, 19 ans, qui a fait campagne pour Benoît Hamon il y a cinq ans, « Éric Piolle, il a une carrure qui permet de parler à tout le monde, et puis ça ne fait que sept ans qu’il est en politique, il faut quelque chose de nouveau. Les gens, d’ailleurs, ils votent écolo sans connaître le mec pour qui ils votent ! »
Ou la femme peut-être. Mais ce ne sera pas le cas de Sandrine Rousseau. Parce que tout le monde la connaît maintenant qu’elle se fait dézinguer sur les réseaux sociaux. Ce mardi, la voilà bien seule à l’inauguration de la promenade Gisèle-Halimi par Anne Hidalgo, maire de Paris et candidate socialiste à l’élection présidentielle, sur les quais de Seine. Compte-t-elle y récolter des voix pour la primaire ? « Ici, non, mais c’est important d’être là où les femmes sont mises en valeur, on ne fera pas de transformation écologique radicale sans transformation sociale… », confie-t-elle aux Jours, petite, souriante et quasi la seule sans écharpe tricolore, à deux minutes des discours officiels. On parierait tout de même qu’il n’y a pas que la mémoire de l’avocate féministe qui vaut le déplacement ce mardi sur un morceau de quai à moitié en travaux. Ah tiens, ça tombe bien, parmi la troupe de journalistes présents, il y a une équipe de LCI, ce qui fait que quelques heures plus tard, Paul Larrouturou, dans L’Instant Pol, peut présenter les « cinq candidates à l’élection présidentielle », Delphine Batho, Sandrine Rousseau, Anne Hidalgo, Valérie Pécresse et Marine Le Pen. « L’art de la politique est un art masculin aujourd’hui. On parle de tribun politique pour les hommes, le féminin de tribun, c’est tribune et c’est une table ! », s’emporte Sandrine Rousseau à l’écran.
Depuis quelques années, on vit un moment très fort de revendications avec #MeToo, les gilets jaunes ou Black Lives Matter. Elle est où la traduction politique de tout cela ? C’est normal que ça afflue en masse !
C’est plutôt quand elle veut faire tourner les guéridons que ça buzze à vrai dire, comme le 25 août après l’entretien de Charlie Hebdo, où elle déclare préférer « des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR ». Un tweet et c’est parti pour un tombereau de moqueries provenant de gens ignorant manifestement l’allusion à la sorcière comme symbole féministe, popularisé par le livre de Mona Chollet. « Ce qui me frappe, c’est que chaque attaque vaut autant de soutiens, souligne Alice Coffin, élue écologiste au Conseil de Paris et l’un des noms connus de sa campagne. Depuis quelques années, on vit un moment très fort de revendications avec #MeToo, les gilets jaunes ou Black Lives Matter. Elle est où la traduction politique de tout cela ? C’est normal que ça afflue en masse ! » Peut-on gagner une primaire dans quinze jours à coups de pioche médiatiques ? « Le livre de Mona Chollet, il s’est vendu à combien d’exemplaires ?, répond Alice Coffin. À mon avis, ça suffit à gagner la primaire ! Ce sera un baromètre pour savoir si c’est trop tôt ou pas pour tout ça. »
En attendant, ce jeudi, veille de rentrée, pas l’ombre d’une télé sur les pas de Yannick Jadot, dans les rues de Saint-Denis, en banlieue parisienne, qui mène à la cité Paul-Langevin. L’association des Enfants de Saint-Denis y fait une distribution de fournitures, trois jours après que le ministre Michel Blanquer a insinué sur France 3 que les pauvres s’achetaient des écrans plats avec l’allocation de rentrée scolaire. Mais qu’est-ce que le grand échalas vient faire là ? « Je suis toujours sur le terrain, heureusement que c’est pas la primaire écologiste en permanence ! », lâche Yannick Jadot. Mon œil. Mostafa Jhaidi, le président de l’association, dit être devenu écolo quand il a constaté que la plage où il passe ses vacances familiales au Maroc avait rétréci de moitié. « Ça fait peur ! », dit-il, devant une pile de sacs à dos siglés du slogan « Share Your Dream ». « Ici, les jeunes ne croient plus en les politiciens, mais on fait confiance à Kader », se marre-t-il. C’est lui, Kader Chibane, nouveau conseiller régional EELV à la région Île-de-France, qui a eu l’idée de ce déplacement. « Pour être candidat à une primaire, il faut être en lien avec la population, ici, en banlieue !, sourit-il. Yannick, c’est une locomotive, c’est lui le plus connu dans la société. Il y a des écolos qui ne parlent qu’à eux-mêmes, lui il sait vulgariser l’écologie politique. »
Si c’est pas Jadot qui va à la présidentielle, ce sera sectaire, ce sera l’écologie aux riches.
Majdi Jeljeli, venu donner un coup de main, est bien de cet avis. « Je roule en diesel, j’ai voté Macron et puis j’ai lâché l’affaire, mais je suis contre l’écologie punitive. Si c’est pas Jadot qui va à la présidentielle, ce sera sectaire, ce sera l’écologie aux riches », explique ce commerçant des Puces de Saint-Ouen tout juste encarté. Mostafa Jhaidi, le président de l’association, fait ses comptes : il a 327 adhérents, sans compter les 250 du club de karaté. Oui, il peut faire une petite réunion de rentrée pour inviter tout le monde à voter à la primaire. Jandal et Mohamed, 17 ans, qui font griller des merguez, auront-il envie de voter pour le géant vert ? « Ah oui, on peut voter si on a plus de 16 ans ? Pourquoi pas… », hésite Jandal, qui a déjà vu la tête de Yannick Jadot quelque part, même s’il ne connaît pas son nom. Pas sûr que ça rapporte deux voix dans quinze jours, mais plus tard, peut-être… « La vraie radicalité de l’écologie, c’est qu’il y a une élection présidentielle », lâche le grand Jadot. C’est bien connu, seuls ceux qui y croient ont une chance de voir le rayon Verts.