Ces minutes épiques et sanglantes racontées presque six ans plus tard leur laissent encore la gorge nouée et le regard un peu dans le vague. De toute évidence, ils n’ont pas vraiment quitté cette salle du Bataclan et la vision d’horreur qu’ils dépeignent avec peu de mots : une montagne de cadavres baignant dans une mer de sang, éclairée par la lumière blanche et crue de la salle, nimbée de la fumée de la poudre dans un silence écrasant. « Après, on a essayé de vivre comme avant », a dit l’un d’eux à la cour, manière de suggérer que c’est impossible. Pour qualifier la mission accomplie par les deux policiers qui témoignaient mercredi 22 septembre vient à l’esprit un mot de latin employé dans l’Antiquité pour les combattants et les gladiateurs voués au sacrifice : « morituri », ceux qui vont mourir. En rentrant dans le Bataclan ce soir-là, ont-ils dit, ils ont marché vers une mort sinon certaine, du moins très probable. Ils savaient être face à des hommes déterminés à faire exploser la ceinture qu’ils portaient sur eux, capable de tuer tous ceux qui se trouvaient dans un rayon de plusieurs mètres, par le seul effet de souffle. « On ne rentre pas par hasard dans la police. On connaît notre devoir », a expliqué le premier témoin, déposant sous anonymat, le commissaire qui dirigeait à l’époque la sous-unité parisienne de nuit de la BAC (brigade anticriminalité, vouée à la délinquance ordinaire). Haute stature athlétique, cheveux poivre et sel, yeux bruns perçants, voix posée, costume gris impeccable et cravate. C’est lui, avec son équipier qui n’a pas témoigné, qui a permis de « limiter » le bilan de la tuerie à 90 morts et environ 200 blessés, sur 1 500 ou 1 600 personnes prises au piège.