On ne saisit plus très bien l’heure ni les jours qui défilent. Le procès des attentats du 13 novembre 2015 semble inscrit hors du temps, dans un rythme bien à lui que chacun commence seulement à apprivoiser. Rouge, vert, orange, noir. Chaque partie a son tour de cou attitré, son rôle délimité, sa manière de s’exprimer. Chez les avocats – robe noire, cordon noir –, les deux groupes sont bien distincts, se font face, adoptent des stratégies différentes. Ceux des parties civiles saisissent le micro, beaucoup. Après s’être présentés à tous, ils posent des questions allant souvent au-delà de la compétence du témoin. Ils remplissent le vide de paroles souvent laissé par la défense. Elle, écoute, prend note, rectifie l’erreur à l’occasion, mais reste discrète (lire l’épisode 5, « “Je ne défends pas une cause, je défends un homme” »).
Derrière, parmi les sans-cordon, un seul accusé a la parole facile. Avec ou sans sollicitation de la cour, Salah Abdeslam crache sa vérité, au visage de ceux qui, dans la salle et derrière la webradio – qui retransmet le débat pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent être présents –, lui vouent, si ce n’est une haine immense, un profond mépris. « On dit souvent de moi que je suis provocateur, mais loin de là ; je suis sincère », a-t-il voulu souligner. Les treize autres ne pipent mot ou presque, choisissent de se dédouaner, d’exprimer des regrets et excuses, décident d’attendre pour s’étendre en parole. Chacune de leurs petites phrases est consignée par les cordons orange, les journalistes, stylos en main et questionnements en bouche.
Les procès sont ainsi faits. La parole est codifiée. Chacun son tour pour parler, poser des questions, jouer son rôle attitré. Ce mardi 28 septembre, un grand groupe entre enfin sur scène. Les parties civiles– cordons verts si elles acceptent de répondre aux médias, rouges si elles ne le souhaitent pas – ont cinq semaines pour s’exprimer. Les victimes et les proches de personnes décédées sur l’une des six scènes de crime de ce soir du 13 novembre 2015 sont appelés à venir à la barre, raconter leur histoire. Alors, ils doivent choisir : parler ou pas.
Porte dédiée à l’entrée des témoins dans la salle d’audience spécialement construite pour le procès des attentats du 13 novembre 2015, à Paris
— Photo Simon Lambert/Les Jours.
Marie s’est « beaucoup posé la question » avant de prendre la décision de parler devant la cour. Le 13 novembre, elle était au Bataclan avec un ami. Depuis la fosse, ils profitent du concert des Eagles of Death Metal quand les trois terroristes pénètrent dans la salle et tirent en rafale sur la foule. Marie n’est pas touchée, son ami, oui.