Tout l’été, « Les Jours » vous plongent dans un autre monde, celui de la justice française de 1973. Du lundi au vendredi à midi, nous publions des extraits des minutes correctionnelles du tribunal de grande instance de Paris d’il y a tout juste un demi-siècle. Un regard sur les délinquants du passé avec les mots de l’époque (lire l’épisode 1, « La délinquance, c’était mieux avant ? »). En accès libre.
«Prévenus : Maurice Lemaire, né le 18 mai 1924 à Culoz, dans l’Ain, marié, dix-sept enfants, ferrailleur, demeurant 3, rue des Côtes d’Auty à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, de nationalité française.
Patrice Lemaire, né le 18 février 1949 à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, célibataire, marchand ambulant, demeurant 5, rue de Besons à Colombes, de nationalité française.
Attendu que le 19 septembre 1970 à Colombes, Lemaire Patrice, pour venger sa sœur qui avait prétendument fait l’objet des assiduités de la part de Silva Rafael, frappa celui-ci de plusieurs coups de poing au visage, puis les jeunes gens se séparèrent. Attendu que cette scène préliminaire fut le prétexte d’un affrontement entre Lemaire Maurice, père de dix-sept enfants, dont Lemaire Patrice est le troisième, et un groupe de Portugais, la famille Silva.
Attendu que Lemaire Maurice frappa violemment Silva à la tête avec la crosse d’une carabine de 9 mm dont il était armé ; que la victime, qui avait reçu des coups de poing par Lemaire Patrice, se trouvait déjà à terre, qu’atteinte d’une fracture de la mâchoire, elle a subi une incapacité temporaire totale d’un mois et onze jours. Attendu ensuite, que Lemaire Maurice tira “dans le tas” des Portugais, que son coup de feu atteignit Pedro Freitas dos Santos qui subit de ce fait une incapacité temporaire totale de vingt-cinq jours, tandis que ses compatriotes s’enfuyaient. Attendu que les autres victimes connues, Silva Luis, Mendes Gabriel, dame Silva Ana épouse Mendes et Borges Eugênia épouse Silva, n’ont pas subi d’incapacité temporaire totale. Attendu que Lemaire Maurice a prétendu qu’il s’était servi de son arme en frappant avec la crosse puis en tirant un coup de feu parce qu’il se croyait menacé par les Portugais, au nombre d’une quarantaine, que son fils Lemaire Patrice a confirmé cette version mais qu’il résulte de l’enquête et notamment de l’audition des Portugais que la bagarre a commencé sans raison et que les Lemaire, prenant l’initiative des violences, les ont tous frappés et battus, certains avec une grande violence.
Attendu que la prévention est ainsi établie à l’encontre des deux prévenus, que les faits sont graves ; que Lemaire Maurice a déjà été condamné à trois mois d’emprisonnement en 1960 pour coups et blessures volontaires ; que Lemaire Patrice a encouru quatre condamnations antérieures dont une pour coups et blessures, qu’il est en état de récidive sur une condamnation prononcée le 8 décembre 1966 par le tribunal pour enfants de la Seine à six mois d’emprisonnement.
Attendu qu’il résulte d’une expertise médicale que Silva Rafael a souffert d’un traumatisme crânien avec perte de connaissance, d’une fracture de l’angle de la mâchoire inférieure gauche, nécessitant une hospitalisation de quatre jours, l’extraction d’une dent de sagesse et un blocage intermaxillaire d’un mois, qu’il a subi de ce fait une incapacité temporaire totale d’un mois et onze jours et qu’il subsiste une incapacité permanente partielle de 6 %, que le tribunal estime dans ces conditions que l’indemnisation réclamée est justifiée.
Le tribunal déclare Lemaire Maurice et Lemaire Patrice coupables de coups et blessures volontaires dans les termes de l’ordonnance de renvoi ; condamne Lemaire Maurice à six mois d’emprisonnement, Lemaire Patrice à deux mois d’emprisonnement, reçoit Silva Rafael en sa constitution de partie civile, condamne solidairement Lemaire Maurice et Lemaire Patrice à lui payer la somme de 5 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice. »