«Nous te saluons, camarade. » Grave devant le cercueil du professeur, Christophe Capuano, ami de Samuel Paty, est venu le premier au micro dans la cour d’honneur de la Sorbonne, à la cérémonie d’hommage national du 21 octobre. Il a donné la dimension de la statue qui écrase désormais le procès « Charlie », celle d’un martyr laïc. Christophe Capuano a lu une adresse de Jean Jaurès aux instituteurs de 1888. « Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants, vous êtes responsables de la patrie », écrivait-il, formant ses vœux pour les écoliers. C’est ainsi que par cette froide soirée d’octobre 2020, le dossier des caricatures « maudites », selon l’expression au procès de l’avocat de Charlie Richard Malka, est devenu définitivement l’emblème d’un choc entre deux visions du monde, d’une « guerre » contre un ennemi qu’on se représente comme une pieuvre invisible. Fait révélateur, Emmanuel Macron a parlé dans son discours des dessins de Charlie, élevés au même rang que les valeurs suprêmes : « Nous continuerons, professeur. Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons la laïcité, nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent. »
Partout en France, au même moment, on présentait les dessins de Charlie, comme sur les hôtels de région à Toulouse et Montpellier, où avaient été toutefois plutôt choisis ceux de Cabu qui brocardent toutes les religions monothéistes, notamment un montrant trois rouleaux de papier toilette « Coran, Torah, Bible » avec le titre « Aux chiottes toutes les religions ». En début de semaine, des militantes féministes ont mené ici et là en France une campagne d’affichage sauvage de dessins de Charb montrant des fesses avec ce titre : « Et le cul de Mahomet, on a le droit ? » La police les a arrêtées brièvement à Toulouse pour affichage sauvage. L’ambiance s’est partout tendue. À Tours, des menaces ont été adressées sur les réseaux sociaux au quotidien régional La Nouvelle République qui avait republié le fameux dessin de Cabu de 2006 avec un Prophète « débordé par les intégristes », et ces mots : « C’est dur d’être aimé par des cons ».

Sous le choc comme tout le pays, Emmanuel Macron a ordonné à tout le gouvernement de multiplier les actions contre une « mouvance » tenue implicitement pour responsable au moins indirectement des crimes jihadistes.