«Au nom de Dieu le clément et le miséricordieux, le seul témoignage que je vais vous apporter aujourd’hui, c’est celui de l’unicité de Dieu. » Le petit homme au crâne rasé qui s’adresse ainsi par vidéoconférence à la cour d’assises en ce 23 octobre, assis à une table dans une prison lointaine, détient sans doute les clés de l’affaire « Charlie ». Il est peut-être celui qui a pressenti que l’attaque contre les dessinateurs et le petit journal français presque oublié de 2015 aurait ce pouvoir de bombe à fragmentation. Il a peut-être compris qu’elle prendrait pour toujours cette allure de secousse tellurique des caricatures, appelant à l’infini d’autres dessins et d’autres « répliques », pour enfin enflammer la communauté musulmane mondiale, « l’oumma », comme en rêvent les jihadistes.
Ce 23 octobre, le banal gamin de jadis du XIXe arrondissement de Paris, Peter Cherif, prend des airs mystérieux. Après avoir récité en arabe la sourate d’ouverture du Coran, il s’enferme dans le silence. Vingt minutes de questions du président et des parties civiles sur son éventuelle participation à la préparation des attentats de 2015 restent vaines. « On m’a forcé à venir ici pour témoigner sur une affaire avec laquelle je n’ai rien à voir, je ne répondrai à aucune question. Je n’ai pas cette attitude dans un but de provoquer. Mais j’appelle tous les hommes à réfléchir, à se poser la question essentielle de la présence de l’homme sur Terre, et à ouvrir les yeux sur le message du prophète Mohamed. C’est la seule chose que je vous dirai aujourd’hui. » Il repart là-dessus dans sa nuit carcérale, qui va durer. Arrêté en décembre 2018 à Djibouti (trop tard pour que son cas soit joint à la procédure actuellement jugée), il est mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » dans une procédure distincte. Ce dossier visant donc les préparatifs de l’attentat contre Charlie ne sera sans doute pas jugé avant plusieurs années. Il est aussi poursuivi séparément pour l’enlèvement de trois Français au Yemen en 2011.

Ami de jeunesse des Kouachi dans la « filière des Buttes-Chaumont » d’acheminement des combattants vers l’Irak, là où tout a commencé au début des années 2000, Peter Cherif a sur son CV près de quinze ans de carrière de jihadiste et de « cadre » d’Al Qaeda. C’est lui que Cherif Kouachi est allé voir au Yemen en juillet-août 2011, en compagnie d’un autre jihadiste français, Salim Benghalem, aujourd’hui mort.