Le 11 septembre, on avait assisté à la cour d’assises spéciale à un premier moment « Charlie » : toute la cour, magistrats, accusés, avocats et policiers confondus, avait été emportée dans un surréaliste éclat de rire général en regardant un dessin de Charb projeté à la demande de sa famille. Il y a eu un deuxième petit instant de la sorte, le 9 décembre, quand les deux avocats de l’accusé belge Michel Catino, 68 ans, ont commencé à plaider contre l’écrasante peine requise contre lui par l’accusation : quinze ans de réclusion avec une période de sûreté incompressible de dix ans. Or, Catino, petit délinquant connu pour des tripots clandestins, n’a pas vraiment les attributs extérieurs du jihadiste. Depuis qu’il a reçu un coup sur la tête en 1997, il a du mal à parler, il bredouille, un peu comme un enfant. Il est dégarni, un peu ventripotent. Il marche voûté, tenu en laisse et en menottes à la cour par deux policiers massifs. Estomaqués par le réquisitoire, ses avocats ont préféré le prendre un peu à la rigolade style « Charlie », au début de leurs plaidoiries, mercredi 9 décembre. « Lui, un terroriste ? Mais ça crève les yeux, c’est instinctif, il suffit de le regarder », a dit Me Béryl Brown. Fabian Lauvaux, son autre avocat belge, joignant le geste à la parole : « Je me retourne, je le regarde… Je ne vois pas ici de soldat du califat. »
Cependant, personne n’avait trop le cœur à rire, dans le fond. Car bien que Catino ne soit évidemment ni islamiste ni même musulman, bien que les charges retenues contre lui (des appels téléphoniques à d’autres accusés et un transport d’armes rouillées en 2014 sans aucun rapport avec les attaques de 2015) soient très minces, voire inexistantes, il ne peut être juridiquement exclu qu’il soit broyé par l’arrêt, attendu le 16 décembre. La cour est sous la pression de l’air du temps et du Parquet national antiterroriste (PNAT), érigé en ministère public autonome en 2019. Le PNAT rode sa doctrine à ce procès, avec, en ligne de mire, d’autres audiences à venir, sur des années. L’idée en vogue qu’il porte aujourd’hui est que la notion judiciaire de « terrorisme », issue d’une législation commencée en 1986 et fortement durcie ces dernières années au fil des attentats sanglants, doit aller très loin. Avec cette approche, des faits d’apparence anecdotiques en eux-mêmes peuvent devenir des crimes.

Dans un réquisitoire d’une journée et demie les 7 et 8 décembre, les deux avocats généraux, Julie Holveck et Jean-Michel Bourlès, ont ainsi expliqué qu’il n’était nul besoin de démontrer qu’un accusé adhérait à l’idéologie jihadiste pour le poursuivre pour « participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle », passible de vingt ans de réclusion.