Cinq ans ont passé, mais le nom de Clément Méric ne vous est pas étranger. Ce jeune homme de 18 ans, syndicaliste étudiant et militant antifasciste, a été tué le 5 juin 2013 dans une bagarre entre son groupe d’amis et des skinheads d’extrême droite, à Paris. C’était à la sortie d’une vente privée de vêtements, dans le quartier des Grands magasins. Au terme de l’enquête, la justice a écarté la préméditation de ses agresseurs : elle considère que les skinheads voulaient se battre, mais n’avaient pas l’intention de tuer. Du 4 au 14 septembre, leur procès se tient devant la cour d’assises de Paris. Esteban Morillo et Samuel Dufour, jugés pour « coups mortels » en réunion et avec arme, risquent vingt ans de prison. Ils ont déjà passé un an en détention provisoire, mais comparaissent libres. Le troisième accusé, Alexandre Eyraud, est jugé pour des violences envers les camarades de Clément Méric. Deux autres personnes, un temps mises en examen, ne sont finalement pas renvoyées devant la cour.
Les juges d’instruction ont pu reconstituer l’emploi du temps des protagonistes, la teneur de leurs échanges et une partie de la rixe. Pour le reste, les magistrats et le jury devront trancher entre les versions contradictoires des accusés, des victimes et des témoins (passants, vendeurs, vigiles, experts médicaux), qui doivent être entendus de nouveau à l’audience. Après quelques accrochages verbaux dans le show-room de la rue Caumartin, qui a déclenché la bagarre dehors et comment s’est-elle déroulée exactement ? Esteban Morillo a toujours admis avoir asséné deux coups de poing à Clément Méric, entraînant sa chute et sa mort, due à un œdème cérébral provoqué par les traumatismes. Mais selon les expertises médicales, au moins trois coups (voire cinq) l’ont atteint au visage. Esteban Morillo est-il le seul à avoir frappé Clément Méric ou a-t-il été « aidé » par son coaccusé Samuel Dufour ? L’un ou l’autre portait-il un poing américain, une arme faisant basculer la peine encourue de quinze à vingt ans de prison ? Plusieurs témoins disent avoir vu cette arme au poing d’Esteban Morillo ou de Samuel Dufour, mais aucun des deux ne reconnaît l’avoir chaussée. Enfin quel fut le rôle de Serge Ayoub, parrain de l’extrême droite groupusculaire cité comme témoin, avec qui les accusés ont passé la soirée après la bagarre ?

Si la mort de Clément Méric a suscité tant d’émotion, déclenché des manifestations et fait réagir le gouvernement de l’époque, c’est que sa dimension politique est venue heurter l’imaginaire collectif. Ce fait divers est intervenu dans un contexte particulier. Trois semaines après la promulgation de la loi sur le « mariage pour tous », à l’issue d’une longue mobilisation réactionnaire, il a rappelé la nature fondamentalement violente de l’extrême droite. Ces dernières années en Europe et en Amérique du Nord, il est arrivé plusieurs fois que des militants et groupuscules néonazis ou racistes tuent des adversaires politiques. L’inverse ne s’est pas produit. Malgré la tentation répandue, dans l’affaire Méric, de renvoyer dos à dos les deux « extrêmes » en soulignant leurs points communs – radicalité politique, penchant supposé pour la castagne, goût pour les mêmes marques de vêtements –, la justice considère les skinheads comme les agresseurs des antifascistes.
En juin 2013, sans attendre les conclusions de l’enquête qui l’ont ensuite contredit, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls, évoque un « assassinat » (c’est-à-dire un meurtre prémédité). L’Assemblée nationale observe un « temps d’indignation et de recueillement ». Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault promet de « tailler en pièces » les « mouvements d’inspiration fasciste et nazie qui font du tort à la République ». Un mois après, plusieurs groupuscules d’extrême droite sont dissous, dont deux liés à Serge Ayoub, autour duquel gravitaient les mis en examen : Troisième voie et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR).

« Clément incarnait une jeunesse exigeante et ardente. Il était notre fierté », a écrit François Hollande aux parents de Clément Méric. Mais les antifascistes restent surveillés et punis depuis. En 2016, lors de la mobilisation contre la loi travail, les interdictions administratives de manifester pleuvent sur les anciens camarades de Clément Méric. Leur mouvement est à nouveau traité par les autorités comme un risque de trouble à l’ordre public. Le procès qui s’ouvre ce mardi devrait être l’occasion, pour les antifascistes, de réaffirmer leurs positions en dehors de la salle d’audience. Ils ont prévu diverses manifestations pendant ces dix jours. À l’inverse, les accusés ont préféré dépolitiser au maximum leur défense. Les avocats qu’ils avaient choisis au début de l’enquête, connus comme les conseils traditionnels de l’extrême droite, ont disparu au profit de professionnels sans étiquette.
Les accusés, à peine plus âgés que Clément Méric, ont eu cinq ans pour réfléchir. Antoine Maisonneuve, l’avocat d’Esteban Morillo, affirme que son client « a tiré un trait » sur ses engagements de jeunesse auprès de Troisième voie et « coupé tout contact » avec ses anciens amis, refusant toutes les collectes organisées pour le soutenir. Les tatouages qu’il arborait sur le corps – le trident de Troisième voie sur la poitrine, le slogan pétainiste « Travail, famille, patrie » sur le bras – ont été recouverts. Seulement un mois avant le procès, avance le « Comité pour Clément ». Selon son avocat, Esteban Morillo « regrette profondément » la mort de Clément Méric et « a beaucoup mûri » depuis. L’audience le forcera à croiser le regard de la famille de la victime. Défendus par Cosima Ouhioun, les parents de Clément Méric ne ressentent, selon elle, aucun désir de vengeance mais abordent le procès avec une « exigence de vérité ».