Mardi matin, dix personnes demandent au tribunal administratif de Paris de suspendre l’interdiction de manifester qui leur a été délivrée pendant le week-end. Au même moment, Julien (son prénom a été modifié) reçoit la sienne. Ce membre du Mili, le Mouvement inter-luttes indépendant, que Les Jours avaient rencontré en mars (lire l’épisode 7, « Les gentils désorganisateurs »), a du mal à comprendre
pourquoi le Préfet de police de Paris a attendu si longtemps pour lui signifier sa décision. Excluant de fait toute possibilité de recours avant le début du rassemblement du jour contre la loi travail, quatre heures plus tard.
L’étudiant de 20 ans fait partie des 53 personnes privées de défilé sur tout le territoire, selon le chiffre communiqué par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Ils sont cinq ou six
du Mili, explique Julien, tous majeurs, alors que la majorité des membres sont mineurs
. Pour ce groupe, comme pour l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA), dont certains des militants ont également été visés par la procédure, les journées de dimanche et de lundi se sont transformées en marathon, entre le recensement, les recours à préparer et les sollicitations médiatiques.
Malgré des rendez-vous repoussés et des stratégies de communication changeantes, Les Jours ont fini par rencontrer plusieurs interdits de manif ce mardi midi. Certains ont déposé un recours devant la justice administrative, d’autres non. Refusant d’être filmés dans les couloirs du tribunal, ils ont longuement hésité avant d’accepter une interview et ne veulent pas que leurs noms soient cités. Par peur que leur parole soit déformée, mais aussi parce que les militants antifascistes ne veulent pas être identifiés par le camp d’en face, l’extrême droite. Si l’AFA a publiquement annoncé que plusieurs de ses membres étaient concernés par les interdictions, chacun préfère désormais laisser planer le doute sur qui y appartient et qui n’y appartient pas.
Attablé en terrasse, E.O., souriant chômeur de 38 ans, raconte. Dimanche matin, vers 9 heures, deux policiers en uniforme timides et assez gênés
sont venus sonner à sa porte. Je les ai un peu houspillés
, reconnaît-il. En signe de protestation, il refuse de signer l’arrêté préfectoral qui lui est présenté. Il aurait aimé se joindre aux recours collectifs, presque tous victorieux, mais il n’a pas renvoyé les documents nécessaires dans les temps.
Des cégétistes, des jeunes, des vieux… Autant des militants pacifiques que des gens de culture politique plus offensive.
Malgré l’interdiction, il hésite, vers 14 heures, à se rendre à la manifestation.