Si on voulait conter le destin du Qatar par une métaphore footballistique, on imaginerait un club de quatrième division qui gagne la Ligue des champions et se maintient au plus haut niveau, accumulant les titres. À la fin de la fable, le nain devenu géant inviterait la planète entière à jouer dans sa petite banlieue transformée en paradis mondial du foot, sous les yeux écarquillés de ses voisins s’étouffant de jalousie. Cette petite péninsule grande comme la Corse, accrochée au sud-ouest du territoire de l’Arabie saoudite, coincée dans le golfe arabo-persique entre les Émirats arabes unis au sud (dont le Qatar a refusé de faire partie) et l’Iran au nord, aurait dû compter pour du beurre. À l’indépendance en 1971, de quoi pouvait bien rêver un morceau de désert peuplé d’à peine une centaine de milliers de Bédouins et de pêcheurs, qu’aucun humain en dehors du Golfe ne savait placer sur une carte, avec, en plus, le lourd passé en terre musulmane d’ancien protectorat de l’empire britannique ? Aujourd’hui, le pays compte près de 3 millions d’habitants, à plus de 90 % étrangers, il a amassé dans ses fonds souverains des centaines de milliards d’euros qui lui permettent d’acheter presque tout. Le monde entier est à ses pieds, depuis les mouvements jihadistes les plus féroces jusqu’aux grandes puissances occidentales.
Orient compliqué ou double jeu ? « Les Qataris ne le cachent pas, au contraire, ils le mettent en valeur. Ils estiment que c’est ce qui fait leur plus-value. C’est le tout petit État qui est capable, dans la même journée à Doha, d’accueillir le secrétaire à la défense américain et le Hamas [le parti islamiste palestinien, ndlr], de faire la liaison avec les talibans afghans et bien d’autres », explique aux Jours Jean-Loup Samaan, chercheur spécialiste de cette zone à l’Institut français des relations internationales (Ifri).