Ce matin-là, toute l’équipe du domaine Voillot est réunie dans le bureau de Jean-Pierre Charlot, le patron, pour goûter à l’aveugle des bouteilles bouchées différemment dans trois appellations du millésime 2015. Il tente une expérience cette année. Pour chacun de ces trois crus, il teste sur cent bouteilles trois bouchons différents. Le liège, qu’il utilise d’habitude. Et deux modèles plus technologiques, pour lesquels il voudrait vérifier si des goûts synthétiques peuvent apparaître. Et si l’évolution du vin diffère dans le temps.
Le domaine Voillot est plutôt épargné par les goûts de bouchon, alors qu’ils ont sérieusement troublé la région. Pendant longtemps, la Bourgogne a toléré officiellement 3 % de goût liégeux sur ses vins, sans procédure très sérieuse pour contrôler ce taux. Il arrivait régulièrement que des bouteilles soient bouchonnées dans des dégustations organisées pour l’obtention de l’agrément par exemple. On la remplaçait discrètement, en disant que le vigneron n’y était pour rien. C’est vrai, mais cela masquait l’étendue du problème. Et puis, il y a une quinzaine d’années, la région s’est reprise et a mis en place un « suivi aval qualité ». L’interprofession (qui réunit tous les métiers et toutes les appellations de la Bourgogne viticole) a commencé à organiser des prélèvements anonymes de bouteilles, dans les domaines, dans les grandes surfaces, chez les cavistes, en France et à l’étranger, afin de vérifier ce qui se vend. Des analyses ont été effectuées. Le taux de bouteilles bouchonnées se situait en réalité entre 8 et 9 % ! Le consommateur n’en a jamais rien su.
Taire ce qui dysfonctionne. C’est un réflexe très classique, surtout dans le monde paysan, pour ne pas dégrader à court terme l’image de toute la filière. En découvrant l’ampleur des goûts de bouchon, l’interprofession s’est donc fâchée discrètement. Les vins gagnaient dans le même temps en précision, les profils aromatiques devenaient plus nets. La moindre déviance, que les scientifiques du vin appelle un « bruit de fond », sautait d’autant plus aux narines. La pression a été mise sur les vignerons et sur les bouchonniers, en menaçant ces derniers de révéler les chiffres. Cela a permis des progrès spectaculaires. Les bouchons synthétiques et les capsules à vis ont commencé à se développer, ce qui a donné un peu d’air aux fabricants de bouchons en liège : pour faire face à la demande trop importante, certains avaient eu tendance à fournir des bouchons de moins bonne qualité et à