Alors qu’opposants et partisans de la réforme des retraites sont suspendus à la décision du Conseil constitutionnel attendue ce vendredi 14 avril, l’intersyndicale organise ce jeudi une nouvelle journée de manifestations, la douzième depuis janvier. « Rester sourd rend ce gouvernement irresponsable », accusent une fois de plus les 13 organisations qui la composent, dans un communiqué commun. Outre la fin de non-recevoir opposée aux syndicats qui souhaitaient rouvrir le dossier du report de l’âge légal à 64 ans, l’exécutif s’est illustré ces dernières semaines par un durcissement, tant dans les mots utilisés contre les manifestants que dans le recours à la force.
Sociologue, professeur à l’université Paris-VIII et chercheur au Cresppa (Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, CNRS), Michel Kokoreff travaille sur les mouvements sociaux, les nouvelles formes de contestation, ainsi que les violences policières. Il est notamment l’auteur de Spectres de l’ultra-gauche (L’Œil d’Or, 2022) et La diagonale de la rage (Divergences, 2021). Pour Les Jours, il revient sur le raidissement du pouvoir et ses conséquences sur une mobilisation protéiforme.
La séquence 2016-2020 avait été marquée par la contestation contre la loi travail, Nuit debout ou les gilets jaunes. La pandémie est venue confiner la rage.
Alors que se tient une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites, la situation semble figée dans un affrontement entre un mouvement très déterminé et un pouvoir sourd à la mobilisation. Comment analysez-vous ce moment ?
À mon sens, on assiste au premier mouvement social post-confinement. C’est une dimension importante qui permet de le mettre en lien avec la séquence 2016-2020 marquée par la contestation contre la loi travail, Nuit debout ou les gilets jaunes. La pandémie est venue confiner la rage. Après plusieurs années d’isolement et de contraintes, la réforme des retraites fournit une occasion de reprendre la rue, de manifester une solidarité entre générations. C’est aussi ce qui donne son énergie au mouvement. Je suis frappé par son caractère intergénérationnel et interclasses, la carte qu’il dessine bien au-delà des grandes villes. Mais même si la contestation, commencée sous une forme classique, a rallié beaucoup de monde dès janvier, la surdité, l’incapacité au dialogue, l’arrogance et le mépris du gouvernement ont conduit à sa montée en puissance et à sa démultiplication. Ce n’est pas que les manifestants sont devenus plus radicaux ou plus violents, mais ils se heurtent à un mur. Le mouvement se durcit face à la radicalisation du pouvoir lui-même (lire l’épisode 8,