Julien Verheyde avait oublié notre rendez-vous. Depuis qu’il s’est relevé en charpie d’un accident de la route survenu en 1999, ce grand garçon de 38 ans à la démarche flottante oublie beaucoup de choses s’il ne les note pas sur le tableau blanc qu’il a accroché au mur de sa cuisine. Je suis allé le rencontrer dans son petit deux-pièces du centre-ville de Sens, sous-préfecture du nord de l’Yonne, pour savoir ce qu’il se passe après. Après un dérapage mal contrôlé, une sortie de route alcoolisée, un dépassement dangereux… Après n’importe quel choc en voiture provoqué ou aggravé par la vitesse, à laquelle s’attaque le passage aux 80 km/h sur les routes secondaires de France depuis le 1er juillet. Car, si la réforme parvient à faire reculer le nombre de morts en réduisant la violence des chocs, elle pourrait faire plus de blessés graves.
L’appartement de Julien Verheyde fait partie d’une résidence créée par le Centre de l’Orval, un foyer médicalisé situé non loin, dans le petit village de Lixy, entièrement dédié aux traumatisés crâniens et donc largement aux accidentés de la route. Il a pris possession des lieux fin 2017. Avant, il y avait eu des années d’hôpital et de rééducation, un déménagement chez sa mère dans l’Yonne puis des « rêves d’indépendance ». C’est chose faite. Julien Verheyde habite désormais seul mais il est accompagné dans sa vie de tous les jours. Son logement est constitué d’une grande pièce qui sert de cuisine et de salon, toute entière ordonnée autour d’une grande télévision et d’un ordinateur. Dans la petite entrée, un escalier mène vers une chambre lumineuse et une petite salle de bain. L’endroit est très calme, situé dans une rue parallèle aux Promenades, les boulevards ombragés qui enserrent le centre historique de Sens.
Partout, la déco est celle d’un célibataire : il y a un tableau représentant une scène exotique de soleil couchant accroché au-dessus du canapé, plusieurs cadres qui montrent Julien Verheyde avec sa mère, une cible de fléchettes, une plaque d’immatriculation du Wyoming… Sur la table basse sont alignées trois télécommandes. Julien Verheyde passe « pas mal de temps » devant la télé, notamment devant AB Moteurs, la chaîne de tout ce qui roule vite et bruyamment. Faire plusieurs tonneaux un jour de juillet n’a rien changé à sa passion pour la mécanique. « J’adore la vitesse, même si je me suis foutu en l’air en voiture. Ça reste une passion. Dès que je vois une belle voiture, j’y retourne, je ne sais pas pourquoi. »
La première vie de Julien Verheyde s’est achevée dans un virage de la forêt de Rageuse, un bois dense situé entre les villages de Coulours et d’Arces-Dilo, au sud-est de Sens.