Benoît Coquard est membre du Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Pour sa thèse, soutenue en 2016, il a étudié les « appartenances et respectabilités populaires en milieu rural » dans le Grand Est. Il a pu constater la place centrale de la voiture dans les territoires où tout se vit désormais sur de longues distances : travail, amitiés et amours… Et mesurer à quel point les 80 km/h s’attachent à une culture de la route profondément ancrée.
Comment ont évolué les déplacements dans les territoires ruraux depuis vingt ans ?
Ceux qui restent y vivre sont plutôt les moins diplômés, car ceux qui vont faire des études supérieures quittent leur département rural quand il n’a pas d’université. C’est donc un milieu surtout peuplé par des classes populaires. Typiquement, ces jeunes ouvriers ou employés prennent leur voiture pour aller trouver un travail à des dizaines de kilomètres au lieu d’être embauchés dans l’usine du bourg, qui a bien souvent fermé. À ceci s’ajoute l’absence ou la suppression des lignes de bus, parce qu’il n’y a plus d’argent dans les départements ruraux en déclin, tandis qu’on demande une mobilité de plus en plus grande aux salariés aujourd’hui. L’investissement dans la voiture compense ce manque de transports publics et cette délocalisation des emplois. Travailler loin de chez soi est rendu acceptable par l’achat d’une automobile capable de faire beaucoup de kilomètres, qui plus est sur des routes plus rapides – notamment des quatre-voies qui, depuis les années 1990-2000, justifient qu’on puisse aller travailler à 30 ou 40 kilomètres de chez soi.
Toutefois, ce sont surtout les hommes qui peuvent se permettre d’aller chercher du travail plus loin, car ils s’occupent moins des enfants et des tâches domestiques. Les femmes se retrouvent plus fréquemment à prendre un métier à mi-temps ou à rester au chômage parce que l’emploi disponible est trop loin du foyer conjugal pour être concilié avec le travail domestique.

Quelles sont les conséquences de ces déplacements de plus en plus longs dans les villages ?
Puisque le marché du travail est délocalisé, le village n’apparaît plus comme une entité qui oriente toute la vie d’une personne. C’est la même chose pour le « marché » matrimonial : les jeunes rencontrent leur compagnon ou compagne de plus en plus loin et sont moins attachés à un village en particulier.