Christian Moisset possède une belle moustache et un garage situé juste à la sortie sud de Courson-les-Carrières. C’est le seul à des kilomètres à la ronde et il fait aussi pompe à essence et station de lavage – tout le monde le connaît. Avec sa femme, il a racheté l’entreprise en 2001 à Jean-Claude Denos, le maire de ce bourg installé le long de la route nationale 151, au sud d’Auxerre, quand ce dernier est parti à la retraite. Il vit toujours juste de l’autre côté de la route, en bas d’une pente où le garage entrepose aussi les voitures accidentées le temps que toute la paperasse soit en ordre pour permettre leur destruction.
C’est Christian Moisset qui remorque les véhicules tombés dans un fossé ou broyés contre un camion aux alentours ; il connaît donc bien les dangers de la nationale 51, où a eu lieu un test d’abaissement de la vitesse à 80 km/h entre 2015 et 2017, comme ceux des petites routes départementales qui serpentent ici entre les plateaux et les coteaux. Il pourrait légitimement être de ceux qui se posent des questions sur les comportements des conducteurs et qui dorment mal en attendant le prochain blessé grave. De ceux qui pensent que si rouler à 80 km/h permet d’éviter de retrouver un pare-brise ensanglanté de plus, allons-y. Perdre deux minutes coûte moins cher qu’une vie.
On y allait fort. On roulait à 160 facile en moto, 120 en voiture… Mais c’était pas dangereux, parce qu’on savait anticiper ce que faisaient les autres. On était plus attentifs, je pense.
Mais Christian Moisset pense, comme presque tout le monde dans le sud rural de l’Yonne, que ça ne sert à rien (lire l’épisode 2, « Pour votre sécurité, contrôle d’arguments fréquents ») et que tout ça, « c’est pour ramasser des sous » à coup de flashs de radar. Pourtant, le garagiste de Courson, comme tant d’autres, ne voit aucun souci à ne pas dépasser les 90 km/h sur la nationale ni les 130 sur l’A6 qui traverse l’Yonne un peu plus au nord. Ce n’est pas le plus petit paradoxe de la pensée populaire en matière de sécurité routière : il y a des vitesses qui sont plus acceptables que d’autres, mais ce sont uniquement celles que l’on connait déjà.
Il n’a pas toujours roulé à 90 km/h et se souvient d’une époque plus lointaine, celle des débuts de la sécurité routière dans les années 1970, où « on y allait fort. On roulait à 160 facile en moto, 120 en voiture… Mais c’était pas dangereux, parce qu’on savait anticiper ce que faisaient les autres, m’a-t-il dit en essuyant le cambouis de ses doigts, après que je l’ai dérangé en plein travail sur une voiture en révision. On était plus attentifs, je pense ».
« Mais alors, comment a été reçue, en 1973, la décision de limiter la vitesse à 90 km/h ?
– Oh, ça s’est bien passé. C’était pas pour faire baisser le nombre de morts, c’était pour le choc pétrolier ! »

C’est là que j’ai décidé d’aller voir ce qu’il se disait réellement dans les journaux à l’époque, lorsque une vitesse maximale autorisée a été imposée pour la première fois sur certaines routes de France.