Les mini-saucissons sont alignés devant les bières, le muffin citron-pavot posé près du nectar de fraise. Cet après-midi de mai, le TGV Paris-Nantes s’apprête à quitter la gare Montparnasse. Dans la voiture-bar, Stéphane Protois-Menu agence les victuailles sur le comptoir vert anis. Le service de ce « commercial de bord » commence bien. Le train est à quai depuis près d’une heure, de quoi lui laisser le temps de s’installer tranquillement. Pas de grève prévue ce jour-là, alors que la mobilisation contre la réforme ferroviaire, entrée ce lundi dans son vingt-troisième jour après une rencontre avec le Premier ministre Édouard Philippe, bouscule depuis début avril le quotidien du personnel des wagons-bars. Stéphane Protois-Menu parcourt le menu des yeux. « Regardez, ça s’est bien amélioré », commente le quadra en chemisette à carreaux Vichy noir, rehaussée d’une cravate rouge. Oublié, le « jambon-beurre dégueu », éclipsé, le sinistre « triangle SNCF » de pain mou. La « carte de printemps » vient d’arriver, avec ses crudités-lentilles-corail et sa verrine framboise-menthe signées par des grands chefs. « Les clients ne sont pas mécontents de la sélection, assure-t-il, avec une pointe de fierté. On dit que c’est cher, mais c’est de la marque, tout ce que l’on vend à bord. »
Stéphane Protois-Menu travaille en voiture-bar depuis 25 ans. Ses collègues et lui sont des figures incontournables de la vie dans les trains, le seul personnel de bord au contact des passagers, avec les contrôleurs. Par bien des aspects, il partage le rythme et les contraintes des cheminots. Parfois, aussi, la même impression d’appartenir à un monde menacé d’extinction (lire l’épisode 1, « Derrière la grève, leur vie sur les rails »). En tant que « roulant », une grande partie de son temps de travail se passe sur les rails. Ses semaines s’organisent par « roulements », avec des prises de service minutées et des plannings contraignants. Il « découche » dans des foyers Orfea – filiale de la SNCF et d’Accor – ou à l’hôtel. Stéphane Protois-Menu n’est pourtant ni cheminot ni même « SNCF », mais salarié de Newrest, l’un de ses nombreux sous-traitants. Du moins jusqu’en 2020. Tous les cinq ans environ, un appel d’offres remet le marché en jeu. Même si les contrats de travail sont transférés au nouveau prestataire, le personnel ignore toujours à quelle sauce il sera mangé.