Avec son costume noir et sa fine cravate assortie, l’ensemble recouvert d’un caban cintré, Wilfried a le look parfait du chauffeur Uber tiré à quatre épingles. Ce vendredi de février, dans les travées d’un salon de l’emploi d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, le jeune homme de 26 ans se cherche pourtant un nouveau boulot. Une liasse de CV sous le bras, il marque l’arrêt face au stand du transport logistique. Puis jette un œil distrait aux entreprises du déménagement. Sous une voûte en brique, le forum consacré aux métiers des transports se tient à quelques centaines de mètres seulement du centre des « partenaires » d’Uber, où le géant des VTC reçoit ses chauffeurs (lire l’épisode 4, « L’usine à fabriquer des chauffeurs Uber »).
Originaire du Val-d’Oise, Wilfried a travaillé deux ans pour Uber avec le statut de « Loti ». À la différence des chauffeurs indépendants, titulaires d’une carte professionnelle VTC, il bossait pour un patron qui possédait, lui, une capacité de transport. Avec son permis de conduire comme seul prérequis, Wilfried lui louait une voiture et un compte Uber pour environ 70 euros par jour. Il roulait entre 5 heures et 17 heures, un peu comme Salima, croisée au début de cette série (lire l’épisode 6, « Attention, mirage dangereux »). Puis passait le volant à un collègue, qui le lui rendait douze heures plus tard. Et ainsi de suite. Cette routine éreintante a pris fin le 30 décembre 2017. Entrée en vigueur fin 2016, la loi Grandguillaume, du nom d’un ex-député PS de Côte-d’Or, prévoit que depuis cette date, les « Loti » n’ont plus droit de rouler dans des véhicules de moins de dix places dans les villes de plus de 100 000 habitants. Autrement dit, les voilà blacklistés des plateformes à Paris.
Une nouvelle tentative pour réguler un secteur devenu chaotique. Et un chambardement dans le monde du transport de passagers. Car c’est grâce aux Loti qu’Uber a attiré dans ses filets, en un temps record, des milliers de chauffeurs sans formation ni diplôme, notamment ceux issus des quartiers pauvres d’Île-de-France (lire l’épisode 1, « En banlieue, Uber monte dans les tours »). C’est aussi en partie à cause du recours croissant aux Loti que les conditions de travail et de service se sont dégradées, à mesure qu’ils supplantaient les vrais VTC.