«Vous voulez me prendre en photo ? », demande un policier en uniforme, à l’entrée des urgences de Saint-Denis. Pincez-nous, on rêve : un flic en service qui réclame de se faire tirer le portrait, c’est bien la première fois que ça nous arrive. Les pouvoirs magiques de l’hôpital Delafontaine pénètrent donc jusque sous les gilets pare-balles. Partenaires particuliers des soignants, les policiers sont des pourvoyeurs habituels de patients. Les fonctionnaires viennent généralement aux urgences pour faire examiner des interpellés ivres ou vérifier que l’état de santé d’un suspect est « compatible avec la garde à vue », selon la formule consacrée. Mission ingrate, mais indispensable. En poste à Saint-Denis ou dans d’autres commissariats de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, La Plaine Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Stains, Épinay-sur-Seine…), les policiers attendent, assis sur des tabourets, de récupérer leur « client ». Un œil sur le lit qu’ils surveillent, l’autre sur leur portable.
Un jeudi après-midi, début août, il y a du bleu dans tous les coins. Devant l’IOA (lire l’épisode 2, « “Retournez en salle d’attente, le docteur va vous appeler” »), un équipage du commissariat de Saint-Denis accompagne un jeune homme menotté. Les agents expliquent l’avoir arrêté en centre-ville alors qu’il menaçait les passants avec des couteaux. T-shirt déchiré et regard fiévreux, le jeune insulte la mère des flics en arabe à travers un masque chirurgical – Oria Mezoughi nous livre une traduction pudique. Quand la porte de l’IOA s’ouvre, les fonctionnaires s’y engouffrent avec lui. « Depuis samedi, on est une annexe de la police », constate la médiatrice du service (lire l’épisode 4, « Oria Mezoughi court après le dialogue social »). Comme beaucoup d’autres phénomènes aux urgences, l’affluence policière semble fonctionner par vagues. Il n’est pas rare de voir des voitures sérigraphiées garées près du sas des pompiers ou de croiser deux agents autour d’un type menotté.
Dans un box, un gardé à vue attend d’être conduit au bloc. Après avoir poignardé son adversaire de bagarre, il s’est profondément tailladé les bras au couteau. 1,55 gramme d’alcool au compteur, il ne tarde pas à ronfler. Les policiers qui l’escortent depuis le matin doivent rester à ses côtés jusqu’à la relève, prévue à 22 h 30. Ils tuent le temps en papotant avec des collègues installés devant la porte voisine : leur gardé à vue à eux doit prendre son traitement contre le diabète.