La « principauté Herrou » n’est plus ce havre de paix dans la vallée de la Roya que des réfugiés hagards atteignaient après des heures à crapahuter à pied dans la montagne (lire l’épisode 1, « Bienvenue en principauté Herrou »). Sous la pression des policiers à la frontière et des gendarmes encerclant l’exploitation agricole de Cédric Herrou à Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes), les migrants ont choisi d’autres voies pour passer d’Italie en France. Après deux années épuisantes d’accueil improvisé qui l’ont vu recevoir et protéger environ 2 500 personnes (il n’a jamais compté), avec des pics à 250 par jour, Cédric Herrou a basculé vers une autre activité, qui combine utopie et pragmatisme. L’éleveur de poules a créé en juillet dernier la première communauté Emmaüs paysanne de France. Différents compagnons s’y refont une santé en binant dans les champs.
Alexandru le Roumain, Yacoub le Tchadien, Yacouba l’Ivoirien, Diasson le Sénégalais, Jaff le Nigérian et Patrick le Français forment cette petite communauté qui expérimente cette nouvelle formule du « camping Herrou », au confort amélioré par des cabanes en bois avec sanitaires, toilettes sèches et cuisine commune. L’hébergement d’urgence démarré au printemps 2016 s’est achevé avec le tarissement des arrivées en 2018. Certains exilés sont ensuite restés sur place, mais leur accueil à long terme s’est révélé « compliqué », explique Cédric Herrou, 40 ans aujourd’hui : « On s’est retrouvés avec des gens assez dépressifs. Une fois qu’ils arrêtent leur parcours, les exilés voient la carapace qu’ils s’étaient construite s’ouvrir. Tout ressort : les tortures en Libye, la traversée de la Méditerranée, les morts… C’est la grande désillusion. Ils comprennent qu’ils sont dans la merde et qu’en France ce ne sera pas si facile. Il y a les problèmes administratifs, le règlement de Dublin, la difficulté de la langue, le déracinement… »

L’agriculteur s’est dit qu’il leur fallait une activité. Vu de son exploitation en terrasses, la réponse a été simple : travailler la terre. « Pour que la tête marche bien, il faut que le corps fonctionne et bouge », dit-il. Il a cédé son exploitation à Emmaüs et, grâce au statut spécial d’Organisme d’accueil communautaire et d’activité solidaire, il y reçoit principalement des demandeurs d’asile, dans le respect de l’accueil sans condition cher à l’abbé Pierre. Les compagnons touchent 350 euros par mois et bénéficient d’une protection sociale.