Sur le quai de la gare de l’Est à Paris, Laure Ignace, avocate de formation et juriste pour l’AVFT, joue avec son gobelet de café trop chaud en attendant maître Agnès Cittadini. Ensemble, elles se rendent à Nancy ce 12 mars 2019 pour une audience prud’homale cruciale dans une des procédures les plus longues qu’ait suivies l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Voilà bientôt quinze ans qu’Anne bataille contre son ancien employeur, qu’elle accuse de l’avoir violée. Un parcours judiciaire de la combattante, à l’instar de nombreuses victimes de violences sexuelles, qui l’aura menée de la cour d’assises – où son patron a été acquitté – aux poursuites en diffamation, des prud’hommes à la Cour de cassation. Si la jeune femme, aujourd’hui épuisée par tant d’années de lutte, ne sera pas présente à l’audience, c’est grâce à sa ténacité et à celle de l’AVFT qu’une décision réellement historique a été rendue sur le plan de la reconnaissance du harcèlement sexuel au travail. « Elle, elle n’attend plus rien. Mais nous on y va, on le fait pour elle, pour la réhabiliter », appuie Laure Ignace.
Si tu me laisses te faire l’amour, je te laisserai tranquille. C’est ton seul moyen de t’en sortir.
Dans un arrêt daté du 17 mai 2017, la Cour de cassation, saisie sur le dossier d’Anne, écrit qu’un « fait unique peut suffire à caractériser le harcèlement sexuel », allant ainsi totalement à rebours de la jurisprudence, qui nécessitait jusqu’à présent la preuve de la répétition d’événements. « Là, la plus haute juridiction française dit que la reconnaissance d’un seul fait de harcèlement sexuel suffit à présumer de l’ensemble du harcèlement sexuel invoqué », décrypte Laure Ignace. Une avancée de géante pour les victimes, qui ont souvent bien du mal à prouver la multiplicité des actes et s’entendent régulièrement rétorquer qu’il s’agit de leur parole contre celle de leur agresseur.
Lorsque ce fameux arrêt est tombé, « c’était la fête à l’AVFT, on était super contentes », se souvient la juriste, en attachant ses cheveux, laissant voir les côtés rasés de son crâne, au moment de grimper dans le TGV. « Après tant d’années, ça nous a fait du bien. En plus, cette décision va servir à d’autres victimes, on est totalement dans la philosophie de l’association. Le comble reste qu’il arrive dans le dossier d’Anne qui a dénoncé de multiples faits, extrêmement graves, corroborés par d’autres témoignages. »
Le calvaire de la jeune femme débute en 2002, d’après le récit qu’elle a livré à l’AVFT. Lycéenne, alors âgée de 17 ans, Anne veut passer son Bafa – le Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur, qui permet d’exercer dans un centre de loisirs ou une colonie de vacances auprès d’enfants et d’adolescents. Son père est au chômage, sa mère femme de ménage à mi-temps, bref, sa famille ne roule pas sur l’or. Alors, elle s’arrange avec le directeur de la maison de quartier, monsieur T., quinquagénaire qui connaît très bien sa situation financière fragile : l’organisation lui payera la formation, en échange d’heures d’encadrement bénévoles avec les mômes du coin.
Un jour d’avril, le directeur attrape la lycéenne par le poignet et l’embrasse de force. « Tu dois te laisser faire », glisse-t-il alors qu’elle se dégage. Le soir même, elle lui écrit par texto qu’elle ne veut plus le voir. Mais le directeur de l’association ne l’entend pas de cette oreille. Il l’appelle, menace de détruire sa vie si elle ne lui obéit pas. Il continue à l’embrasser, va même jusqu’à lui caresser les seins et le sexe. Anne a beau pleurer, lui dire que ça lui fait mal, « ce n’est pas [son] problème ». « Si tu me laisses te faire l’amour, je te laisserai tranquille. C’est ton seul moyen de t’en sortir », assure le directeur de la maison de quartier à sa jeune animatrice, toujours selon le récit de cette dernière.
Elle hésite, puis cède, convaincue qu’il tiendra sa promesse et qu’elle sera enfin débarrassée. Dans une chambre d’hôtel, « il fait ce qu’il veut [lui] faire », alors qu’elle est allongée, en larmes, sur le lit. Mais monsieur T. ne satisfera jamais son engagement initial. Pendant près de deux ans, selon le récit d’Anne à l’AVFT, il y aura d’autres rapports, des fellations, des sodomies. Anne tente tout pour y échapper : elle prétend qu’elle a une MST, se coupe la bouche pour ne plus pouvoir l’embrasser, se blesse volontairement, mais rien n’y fait. Entre-temps, elle obtient son Bafa. Embauchée au sein de l’association, elle gagne plus que ses deux parents réunis. Comment imaginer quitter son job alors que les siens comptent sur elle ? Alors elle se soumet à sa volonté, explique-t-elle, jusqu’en juillet 2004.
Lors d’un camp d’été à l’étranger, la jeune fille explose. Il faut dire que sa situation a évolué. Elle va intégrer à la rentrée une formation sociale, elle a un petit ami qui prend soin d’elle, l’horizon si bouché semble se dégager. En tout cas, Anne a pris de l’assurance. Elle raconte tout à son amoureux, puis à sa mère, présente dans la colonie de vacances pour s’occuper de la cuisine. L’animatrice porte plainte, d’abord à l’étranger puis à son retour en France. Avant de quitter le camp d’été, elle rédige une lettre de démission, selon elle sous la dictée de son chef, monsieur T. Une fois rentrée, elle lance également une procédure au conseil des prud’hommes – qui décide de reporter son jugement au résultat de l’enquête pénale.
Lors de l’instruction qui suit la plainte d’Anne, les gendarmes auditionnent plus d’une centaine de témoins. Il ressort que le directeur de la maison de quartier a eu, par le passé, « à de très nombreuses reprises un comportement déviant envers certaines jeunes filles ». L’une raconte aux enquêteurs avoir eu des relations sexuelles avec lui après un chantage affectif et psychologique. Une autre se souvient qu’en colonie, il regardait à travers le rideau de douche des filles, qu’il lui avait proposé de payer sa formation au Bafa et qu’il l’avait touchée. À une troisième qui venait d’avoir ses règles, il a demandé de s’allonger, nue, et d’écarter les jambes afin qu’il puisse l’ausculter. Et ainsi de suite, de « mains baladeuses » en « proximité excessive ».
Pourtant, en février 2007, trois ans après la plainte, le juge d’instruction, suivant les réquisitions du parquet, décide d’un non-lieu. Sidération. C’est à ce moment-là qu’Anne contacte l’AVFT, abasourdie par ce jugement qu’elle ne comprend pas et qui reconnaît pourtant qu’elle se trouvait « sous l’emprise » de son patron, de trente ans son aîné et dont dépendait financièrement sa famille. L’association se constitue partie civile avec elle et, ensemble, elles obtiennent la mise en accusation de monsieur T. devant la cour d’assises pour viols. Mais en mars 2011, soit sept ans après la plainte déposée par Anne, monsieur T. est acquitté.
Tous les témoins n’ont pas été convoqués par le parquet, les autres parties ont dû s’en charger, mais ça coûte cher, des victimes n’ont pas pu venir. Le gendarme qui avait recueilli leur parole n’a pas pu être présent non plus, car il était en phase terminale d’un cancer. Le jury était quasiment entièrement masculin…
Comment est-ce possible avec un tel dossier ? Huit ans plus tard, c’est Laure Ignace qui nous répond. Dans le local parisien de l’AVFT, à la veille de son départ vers Nancy, elle s’est installée sur la table de réunion, à gauche des bureaux, où les salariées déjeunent et reçoivent les victimes, à l’abri derrière un paravent de bois. Collé à la verrière du bureau de Clémence Joz, où se tient une permanence téléphonique (lire l’épisode 1, « “Mon supérieur m’a agressée sexuellement en décembre” »), un canapé voisine avec une bibliothèque d’ouvrages féministes, des classeurs de toutes les couleurs renfermant des décisions pénales ou correctionnelles, une collection de livres de droit Dalloz à la fameuse couverture rouge et des affiches féministes. Sur la grande table, étalés devant Laure Ignace, les dossiers d’Anne. Une pile de pochettes multicolores compose la masse pénale, difficilement retenue dans une chemise jaune. D’autres, éparpillées autour de l’ordinateur, forment la partie prud’homale.
« Moi, je ne suis arrivée à l’association qu’en 2013, rappelle Laure, qui rapporte donc les observations de celles ayant assisté au procès. Le problème réside dans la manière dont a été menée l’audience. Tous les témoins n’ont pas été convoqués par le parquet, les autres parties ont dû s’en charger, mais ça coûte cher, des victimes n’ont pas pu venir. Le gendarme qui avait recueilli leur parole n’a pas pu être présent non plus, car il était en phase terminale d’un cancer. Le jury était quasiment entièrement masculin… » Les comptes-rendus disponibles dans la presse locale soulignent eux aussi l’absence de plusieurs témoins. On peut y lire que monsieur T. reconnaît des relations sexuelles consenties, mais que d’après lui, les accusations de viol trouvent leur origine dans la lettre de démission d’Anne. La jeune femme, comprenant qu’elle ne pourrait pas toucher de chômage puisqu’elle a quitté d’elle-même son emploi, demande à être licenciée afin de percevoir des allocations, ce que l’association ne peut pas se permettre. « Toute cette affaire de viol est partie de là », plaide le conseil de monsieur T. L’avocate générale requiert l’acquittement, obtenu après une heure et demie de discussion entre les jurés.
Cette démission sera justement au cœur des débats, aujourd’hui à Nancy. Dans le train qui les amène vers l’Est, maître Agnès Cittadini, l’avocate d’Anne depuis 2015, a rejoint Laure Ignace, qui plaidera pour l’AVFT devant la cour d’appel. La conseil, brune aux cheveux courts, chaussée de derbies pailletées et spécialiste en droit du travail, collabore très régulièrement avec l’association. « Anne, je ne l’ai jamais vue, confie-t-elle. Je lui parle au téléphone, mais ce dossier est tellement vieux qu’elle met ça à distance aujourd’hui. Elle est contente que l’AVFT ait repris l’affaire et s’en occupe. »
Tout le long du trajet, les deux femmes de droit restent silencieuses, penchées sur leurs notes. Côté couloir, Laure, lunettes sur le nez, relit et annote sa plaidoirie, l’élastique retenant la masse de documents enroulé autour du poignet. Côté fenêtre, Agnès, un stylo fluo jaune serré dans le poing, a posé une pile de papiers à même ses jambes. « J’ai cinquante pages de conclusion et je vais avoir cinq minutes pour plaider », regrette l’avocate d’une petite voix. Autant de pages pour un dossier aux prud’hommes ? À première vue, il y a de quoi être surpris. Moins quand on connaît la complexité de l’affaire.
Après son acquittement aux assises en 2011, monsieur T., en tant que président de l’organisation qui embauchait Anne, a relancé le dossier sur le plan prud’homal. En 2014, la démission de l’animatrice est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, dans sa lettre de départ, elle annonce à la fois quitter l’association et continuer à travailler bénévolement pour celle-ci, ce que les conseillers ont jugé incohérent. En revanche, la jeune femme est déboutée de ses demandes concernant le harcèlement sexuel.
« Mais le président de l’association, monsieur T., ne lâche rien et décide de faire appel », déroule Laure de sa voix éraillée. La cour d’appel rend son jugement en 2015 : Anne est déboutée de toutes ses demandes, même de ce qu’elle avait obtenu en première instance. Qu’à cela ne tienne, elle va, avec l’AVFT, se pourvoir en cassation. « On a été tenaces, il a fallu s’obstiner, rappelle la juriste. Anne n’y croyait plus, mais nous oui, donc on a insisté lourdement pour y aller. » Une obstination qui a payé pour Anne mais aussi pour toutes les autres victimes de violences sexuelles au travail. Car c’est là qu’elles obtiendront cette fameuse avancée judiciaire historique. D’après l’arrêt rendu en 2017 par la Cour de cassation, la reconnaissance d’un seul événement par le tribunal s’avère suffisant pour caractériser le harcèlement sexuel, renversant ainsi complètement la jurisprudence actuelle. En l’occurrence, dans le dossier de l’animatrice, cet acte unique consiste en un épisode, dont sa sœur a été témoin, où son patron lui propose de dormir dans sa chambre afin qu’il puisse « lui faire du bien » alors qu’elle se plaint de coups de soleil. Il s’agit de ce fait établi qui, selon l’arrêt de 2017, « permettait de présumer de l’existence d’un harcèlement sexuel ».
Anne ne veut plus mettre les pieds dans une enceinte judiciaire, c’est trop de souffrance. La seule chose qu’elle demande, c’est une reconnaissance.
À Nancy, devant la cour d’appel, une petite dame en doudoune brillante nous interpelle : « Vous êtes l’AVFT ? » La dame en question, c’est Annette, 72 ans et militante féministe depuis plus de trente ans. Elle était déjà présente aux assises et a continué de suivre l’évolution du dossier d’Anne, « un peu touchée par son histoire et son procès ». Elle est venue spécialement de Metz en train pour assister à l’audience. Avec elle, son amie Anne-Marie, 72 printemps également, cheveux rouges, béquille et veste verte.
Tout ce petit monde s’installe dans la salle d’audience, pour cet appel de la décision prud’homale. Aujourd’hui, l’enjeu est multiple : requalifier la démission d’Anne en licenciement, mais aussi reconnaître enfin le harcèlement sexuel dont elle a été victime, ainsi que les manquements de son employeur – qui se trouve être aussi son agresseur – à ses obligations de sécurité. Bien droite derrière le pupitre, Agnès Cittadini prend la parole. « J’interviens donc après un arrêt de la Cour de cassation extrêmement important qui a consacré l’acte unique dans la reconnaissance du harcèlement sexuel. » La conseil souligne d’abord les deux aspects du dossier, d’une part les conditions de travail et les faits dont Anne a été victime, de l’autre la démission et son contexte particulier. « Elle est une très jeune personne quand elle intègre l’association » dirigée par monsieur T. Lorsque l’animatrice prend de l’assurance dans sa vie professionnelle et personnelle, elle menace monsieur T. de le dénoncer. « C’est là que la lettre de démission est rédigée sous la contrainte. » Maître Cittadini insiste : « L’acquittement au pénal ne doit pas amener la cour à dire que les faits n’ont pas eu lieu. Les preuves sont différentes sur le plan civil et pénal. En tout état de cause, des rapports sexuels ont existé, ils ne sont pas contestés, avec une différence d’âge extrêmement importante, un lien de subordination, une pression économique forte. Ce contexte particulier aurait dû conduire l’employeur à écarter toute relation sexuelle avec sa subordonnée. »
Elle se rassoit, alors que Laure Ignace se lève. La juriste réajuste sa veste noire, passe les mains sur son jean, puis se lance, au nom de l’AVFT, en expliquant d’abord le rôle et la raison d’être de l’association. « Je suis un peu émue aujourd’hui de plaider le dossier d’Anne. Elle nous a saisies il y a douze ans, alors qu’elle en avait tout juste 22. Au stade du pourvoi, elle était lessivée, elle ne voulait plus. C’est nous qui lui avons dit qu’elle pouvait être reconnue dans ses droits, la plus haute juridiction a admis qu’elle était victime de harcèlement sexuel. » Elle prend les magistrats à partie, à propos des récits d’autres victimes : « Des mineures parlent de voyeurisme, d’attouchements, et on fait semblant de ne pas les voir. Vous devez lire ces témoignages ! Ils constituent un faisceau d’indices. » Avant de conclure sur la situation de la victime aujourd’hui. Mère de famille, entourée, Anne a repris un emploi dans les assurances où elle s’épanouit enfin. Mais « elle ne veut plus mettre les pieds dans une enceinte judiciaire, c’est trop de souffrance. La seule chose qu’elle demande, c’est une reconnaissance ».
De son côté, l’avocate de monsieur T., carré gris et lisse, défend son client. Elle plaide moins longtemps qu’Agnès ou Laure, et conteste l’emprise dont Anne aurait été victime. D’une voix claire, elle reprend la ligne soutenue par le directeur de la maison de quartier lors du procès aux assises : « Anne rédige une démission et se rend compte qu’elle ne touchera aucun chômage. Donc elle veut la reprendre et demander un licenciement, qui n’avantage pas l’association. » Lors du camp d’été, les autres animateurs se plaignent de son comportement indolent depuis que son petit ami l’y a rejoint. « Dans ce contexte, vous comprenez mieux pourquoi Anne démissionne : pour prendre des vacances avec lui. »
En sortant, on retrouve Annette et Anne-Marie. Les vieilles dames n’ont rien perdu de l’heure d’audience qui vient de s’écouler. « J’ai bon espoir pour obtenir un peu de reconnaissance pour elle », se réjouit la première en refermant sa doudoune brillante. Mais sa voisine reste moins optimiste. « Pff, tu sais, la justice française… Cette histoire traîne depuis 2004, tu te rends compte ? », s’agace-t-elle d’une voix chevrotante avant de discuter de l’affaire Weinstein, qui pourrait peut-être faire pencher la balance en faveur d’Anne. Alors que les deux amies repartent, Agnès et Laure, elles, s’interdisent tout pronostic avant le jugement, qui sera rendu le 15 mai.
Pourtant, devant un moelleux au chocolat à la brasserie l’Excelsior de Nancy – une institution locale bâtie tout en Art nouveau en 1911 –, elles finissent par débriefer. Toutes deux se réjouissent d’avoir pu plaider plus longtemps que prévu, bénéficiant sans doute de la présence d’une visite de magistrats étrangers, qui empêchait les juges de les interrompre. Elles saluent aussi l’avocate de la partie adverse, « pas outrageante », alors que d’autres « auraient pu partir dans des trucs très… insultants ». Sur le fond, si la requalification de la démission ne semble pas si discutable, c’est surtout sur la question du harcèlement sexuel que portent toutes les interrogations, étant donné que monsieur T. a été blanchi des faits de viol. « Ils sont gênés par l’acquittement aux assises », avance Laure, bientôt rejointe par Agnès. « C’est sûr que ça pose problème. Mais ils ont toutes les clés… » Qui peuvent enfin permettre à Anne de fermer cette lourde porte.
Mis à jour le 27 mai 2019 à 18 h 10. Qu’y a-t-il de pire qu’une douche froide ? Une cruelle déception ? Une chute du haut d’un immeuble de plusieurs étages ? La justice française aura au moins réussi cet exploit : décevoir Anne, qui n’en attendait déjà plus grand-chose. Car l’arrêt dans le dossier qui l’oppose depuis tant d’années à son ancien employeur est finalement tombé. En une vingtaine de pages, il déboute l’animatrice de toutes ses demandes. Même la requalification de sa démission en « licenciement sans cause réelle et sérieuse », accordée en première instance, n’a pas été retenue.Mais c’est sur les faits de harcèlement sexuel que la lecture donne la nausée. Les témoignages de neuf autres jeunes femmes, issus de la procédure pénale, y sont listés, évoquant des « gestes déplacés », des « agissements », le « comportement insistant » de monsieur T. Les rapports des psys qui ont rencontré Anne, cohérente mais « fortement affectée », sont aussi mentionnés. Pourtant, rien n’y fait. Pour la défense du directeur, l’arrêt s’appuie sur d’autres éléments. Une enquête administrative de la direction départementale de la jeunesse et des sports, qui n’a rien retenu contre l’accusé. Ou le fait que les autres animateurs reprochent à Anne son comportement au cours du séjour à l’étranger, lors duquel elle a démissionné. Et puis, une des témoins considère que la jeune femme « ne ressemblait pas à une personne violée », alors…Alors voilà, pour la cour d’appel de Nancy, certes « les parties ont entretenu des relations sexuelles pendant de nombreux mois », mais « aucun élément ne vient établir que M. T ait profité de sa position hiérarchique pour obtenir des faveurs sexuelles » de la part de sa subordonnée, dont le salaire faisait vivre la famille. La différence d’âge, elle, « ne saurait prouver l’ascendance » du directeur sur sa très jeune employée, pas plus que « les largesses » dont a pu bénéficier Anne, comme le règlement de sa formation Bafa par l’association dirigée par Monsieur T.
« Ça me rend dingue, s’emporte Laure Ignace, de l’AVFT, interrogée par “Les Jours”. Évidemment, Anne est dans un sale état aujourd’hui. Elle y croyait. Sur son dossier, la Cour de cassation rend un arrêt de principe qui fait jurisprudence sur l’acte unique, mais ça ne lui est même pas accordé. Qu’est-ce que ça pouvait leur foutre de lui laisser au moins ça ? » La question reste en suspens.