Manger bio, local, plus végétal, on connaît la rengaine. Mais pourquoi ne pas aller plus loin, surtout en ces temps de festivités ? Voilà, le programme : on prend son gourdin (son arc, son silex, etc.), on file (à poil ou avec une peau de bête négligemment jetée sur les épaules) dans la nature pour y débusquer une dinde sauvage (Meleagris gallopavo), sans oublier au passage de se faire une bonne partie de cueillette (champignons, baies, etc.). Si la flemme est un handicap majeur, on peut aussi décréter que les fêtes rimeront avec abstinence (par intermittence ou plus radicalement), comme nos ancêtres du paléolithique qui n’avaient certainement pas tous les jours un mammouth à se mettre sous la dent. Mais quelle idée ? Il s’agit tout simplement de se mettre à la page et de faire son sauvage. Son « vrai » sauvage, sans pour autant dérailler sur les pistes noires du survivalisme prisé par l’extrême droite, de l’écofascisme voire des dérives sectaires concernant le jeûne, qui, non, ne guérit pas le cancer. Pas celui que Gérald Darmanin sert à tout-va (« Il faut stopper l’ensauvagement d’une partie de la société »). Encore moins celui du RN qui fait son miel de la délinquance, porte ouverte à l’ensauvagement et vice et versa.
Rien à voir. Le « sauvage » dont on vous parle fait partie d’un mouvement qui cherche à « ensauvager » ou « réensauvager » son assiette en ces temps d’urgence climatique. Un mouvement qui essaime, scruté de près par deux sociologues : Tristan Fournier (spécialiste de l’alimentation) et Sébastien Dalgalarrondo (spécialiste de la santé). Un duo de chargés de recherche au CNRS qui travaillent à l’École des hautes études en sciences sociale (EHESS), dans le laboratoire de l’Iris (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux). Après avoir publié L’Utopie sauvage en 2020, ils ont piloté un ouvrage collectif intitulé Rewilding food and the self. Une somme décoiffante. On passe à table avec Tristan Fournier, chercheur qui pousse la conscience professionnelle (et son amour de la nature) jusqu’à participer à des stages de cueillette ou de jeûne.
Vous affirmez assister à un désir d’ensauvager notre alimentation. Quels en sont les signes ?
Je peux citer le développement des stages de cueillette de plantes sauvages, même en milieu urbain, la pratique du jeûne qui n’a plus grand-chose à voir avec la religion, je peux aussi évoquer l’engouement pour le régime paléolithique qui consiste à se nourrir uniquement de produits de chasse et de cueillette, et à bannir les produits laitiers, céréales ou légumineuses, etc.