En France, l’usage des armes par les forces de l’ordre est considéré comme un sujet sensible, sur lequel les autorités ne s’étendent pas. Très peu de données sont rendues publiques. Depuis 2012, la police nationale dispose pourtant d’un outil centralisé, qui recense tous les tirs effectués par ses agents avec leur arme de service, mais aussi avec les armes longues, les lanceurs de balles de défense (LBD), les pistolets à impulsion électrique (Taser) et les grenades de désencerclement. Ce grand fichier s’appelle « Traitement relatif au suivi de l’usage des armes » (TSUA). Après chaque tir (y compris accidentel ou hors service), le fonctionnaire doit remplir une fiche détaillée sur l’intranet de la police. Il indique les circonstances – date, heure, lieu, contexte, position des uns et des autres –, le nombre de munitions tirées, les éventuelles blessures infligées. Une fois validé par sa hiérarchie, ce compte-rendu est transmis à l’IGPN, la police des polices. Le fichier TSUA représente une mine d’informations, jalousement gardée par l’administration. À notre grand désarroi.
Lors de sa dernière conférence de presse annuelle, en avril 2018, l’IGPN a esquissé un bilan (oral) de l’usage des armes à feu par la police au cours de l’année précédente. Elle ne le fait pas tous les ans (et jamais par écrit), nous obligeant à nous replonger dans des rapports épars, tantôt parlementaires, tantôt confidentiels, pour reconstituer le graphique ci-dessous. En 2017, comme nous l’avons déjà écrit dans cette série, la police française a donc tiré à 394 reprises (contre 91 pour la gendarmerie), en augmentation de 54,5 % par rapport à 2016. Si l’IGPN a fait un premier pas vers la transparence, rien ne l’oblige à renouveler l’exercice cette année. En tout cas, d’après des sources internes, le nombre total de tirs d’armes à feu serait en nette diminution en 2018, côté police comme côté gendarmerie, sans que cette baisse soit forcément explicable.
Dès la phase de préparation de cette série, nous avons souhaité nous entretenir avec l’IGPN au sujet du TSUA, pour mieux comprendre comment l’institution analyse les données qu’il contient. Dans ses rapports annuels, l’IGPN souligne en effet son utilité, pour récolter des statistiques, repérer des tendances sur telle ou telle arme et s’y adapter en formulant des recommandations. Six mois après notre première demande, un commissaire divisionnaire a finalement été autorisé à nous répondre, préférant toutefois que son nom ne soit pas cité.