Omid Jamil Ali ne verra jamais l’Angleterre. En août 2001, le jeune Kurde de 21 ans quitte Sharbarza, dans le nord de l’Irak, avec l’espoir de rallier le Royaume-Uni. Après avoir franchi la frontière avec l’Iran, il passe en Turquie et atteint l’Italie moins de deux semaines après son départ. De là, il rejoint Calais, terminus de son voyage. Il est mort le 18 octobre 2001, après une chute. Ce jour-là, il se trouve à proximité du tunnel sous la Manche. Il est l’un des 368 exilés disparus à la frontière franco-britannique entre 1999 et le 14 juin 2023, dont Les Jours racontent les vies et les morts dans cette série (lire l’épisode 1, « Voir Calais et mourir, 367 fois ») et dans le « Mémorial de Calais », un outil interactif inédit (à retrouver en bas de page).
Côté français, le site d’Eurotunnel s’étend sur plus de 650 hectares, dessinant une boucle ferrée qui se prolonge en s’enfonçant au nord-ouest dans la roche du littoral du Calaisis. Le terminal, où embarquent les camions et les voitures, est situé sur la commune de Coquelles ; le tunnel, lui, démarre un peu plus loin, à Peuplingues. « Peu avant l’entrée, les trains sont obligés de ralentir », explique Arun Kundnani, chercheur membre du Transnational Institute qui a pu documenter les circonstances du décès d’Omid. Positionné sur un pont surplombant les voies ferrées, le jeune homme attend le bon moment pour se jeter et atterrir sur un train en marche. Il « a sauté sur un wagon, mais s’est grièvement blessé dans sa chute, tandis que le train accélérait », explique le chercheur. Ce n’est qu’une fois arrivé à Folkestone, du côté anglais, que son corps sera découvert.
À l’époque du camp de Sangatte, les intrusions de migrants étaient quasi quotidiennes sur le site d’Eurotunnel. Toutes les nuits, moment où transite la majorité des camions, il y avait des interruptions de trafic, des gars arrivaient à entrer sur le site en coupant le grillage, en passant par-ci ou par-là.
« Comme de nombreux jeunes Irakiens, Omid avait quitté le Kurdistan afin d’aider sa famille restée au pays », rappelle Arun Kundnani. En ce début de millénaire, « les Kurdes étaient pris en étau : d’un côté, la répression ciblée du régime de Saddam Hussein, et de l’autre, les sanctions occidentales. […] Les jeunes, notamment les hommes, étaient incités à quitter la région pour essayer de se rendre en Europe occidentale et trouver du travail ». Alors Omid est parti. Sans véritablement savoir ce qui l’attendait à son arrivée au Royaume-Uni. « Dans le nord de l’Angleterre, il y a des usines d’élevage de poulets, on les emballe, on les envoie dans les supermarchés. C’est un travail sale, chaud et difficile, raconte Arun Kundnani.