«C’était un soir d’été, j’avais invité tout un groupe de migrants du camp de Norrent-Fontes pour une soirée crêpes. » Attablé dans le salon de son logement de fonction, à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, Michel Delannoy cherche dans ses souvenirs, derrière ses petites lunettes. « C’était sympa, il y avait une bonne ambiance », raconte celui qui est prêtre dans le diocèse d’Arras depuis 1987. « Le lendemain matin, vers 7 heures, coup de fil de la gendarmerie : “Il y a eu un problème, vous pouvez passer ?” » Michel Delannoy décrit son départ express, l’adjudant qui le reçoit, le fait s’asseoir à son bureau, lui tend sans précaution la photo d’un homme allongé à terre et demande, abruptement : « Vous le connaissez ? » Le prêtre, stupéfait, reconnaît Mansour, avec qui il partageait des crêpes quelques heures plus tôt. Le gendarme poursuit : « Il y a eu une bagarre et cet homme est mort. » Mansour Hamid était Érythréen et avait 23 ans. Il a été tué sur l’aire de repos de Saint-Hilaire-Cottes sur l’autoroute A26, à 75 kilomètres au sud-est de Calais, le 23 juillet 2008. Il est l’un des 369 exilés disparus à la frontière franco-britannique entre 1999 et le 3 juillet 2023, dont Les Jours racontent les vies et les morts dans cette série (lire l’épisode 1, « Voir Calais et mourir, 367 fois ») et dans le « Mémorial de Calais », un outil interactif inédit (à retrouver en bas de page).
Depuis vingt-cinq ans, le franchissement de la Manche génère des luttes pour l’accès aux lieux de passage, de l’emprise, des violences, des homicides. Le 30 mars 1999, c’est Allkushi Kastriot, un Kosovar de 25 ans, qui a été la première victime d’une fusillade au terminal voyageurs du port de Calais (lire l’épisode 2, « À Calais, les morts du port »). Le 15 avril 2002, Mohamad Abdal Rahman Abdullah, alias « Ali Sharif », un Kurde irakien de 25 ans, est tué de plusieurs coups de couteau dans l’enceinte du centre de la Croix-Rouge de Sangatte. Il est enterré dans le carré des indigents du cimetière de la ville. Le 29 octobre 2004, Mohamed Al-Mahi, un Soudanais de 38 ans, est mort après avoir été poignardé au bord d’une voie ferrée de la zone industrielle des Dunes à Calais. Le 9 mars 2014, un Albanais de 26 ans est tué par arme blanche sur l’aire de l’Épître, à Beuvrequen, dans le Pas-de-Calais, sur l’autoroute A16. Le 26 juillet 2016, Asfaw Maazu Tadesse, un Éthiopien de 37 ans, est mort poignardé dans la « grande Jungle » de Calais.