Le temps s’immobilise vite lorsque votre seul horizon est un bout de parking en bordure de l’autoroute de Normandie. L’air y est poussiéreux, brassé par les milliers de voitures et de camions qui passent par là chaque jour, alourdi par une odeur permanente d’huile et de moteurs chauds. Ce n’est pas l’enfer, mais on fait plus champêtre pour le week-end. C’est pourtant là que Tomasz, 21 ans, a passé son samedi et son dimanche, comme beaucoup d’autres chauffeurs venus de l’Est de l’Europe qui y font étape pour leur repos hebdomadaire obligatoire. On y croise très peu de chauffeurs français, qui ne font plus de longues missions internationales depuis que l’ouverture du marché européen a rendu les entreprises de l’Ouest moins compétitives (lire l’épisode 1, « L’horizon rétréci du chauffeur routier »).
La plupart du temps, Tomasz reste à l’intérieur de son camion Man bleu pétant, rideaux tirés pour regarder des films et des séries sur son ordinateur. Il est aussi allé prendre une douche, dans la station-service où il croise des familles en partance pour les plages normandes. C’est tout. L’aire de Morainvilliers Nord, dans les Yvelines, est la première accessible depuis la région parisienne en direction de la Normandie, située juste après la jonction des autoroutes A13 et A14, en amont de l’ancienne grande centrale électrique de Porcheville. Avec sa station-service, sa boutique qui vend des sandwichs triangle et des coloriages pour les enfants, elle est un non-lieu taillé pour le passage des foules qui font le plein d’essence ou le vide aux toilettes.
Elle n’offre rien de particulier aux routiers qui s’y arrêtent, mais son parking gratuit est vaste et situé aux portes de Paris, ce qui permet de se rendre facilement vers le nord ou le sud en contournant la capitale. J’y suis parti à la recherche de chauffeurs d’Europe de l’Est, afin de comprendre leur vie et de la confronter à l’image colportée par les chauffeurs français rencontrés depuis le début de cette obsession routière.
Tomasz vient du Nord-Est de la Pologne mais travaille pour une société autrichienne. C’est son premier emploi en tant que chauffeur professionnel ; il est sur les routes depuis tout juste onze mois. En le voyant descendre de son camion, gamin fluet au look d’adolescent qui tranche avec le combo marcel-claquettes de ses collègues, je me suis dit qu’il fallait pas mal de courage pour s’élancer à cet âge seul à travers l’Europe au volant d’un monstre de 16,50 mètres. Mais Tomasz a