Personne n’a particulièrement fait attention à la nuit du 31 décembre 2021 dans le monde de la musique. Pourtant, on s’en souviendra peut-être dans quelques années comme d’un moment de rupture historique. Car ce soir-là, sur la chaîne chinoise Jiangsu TV, il s’est passé quelque chose quand la chanteuse Teresa Teng, reine de la pop adulée par tout un pays depuis les années 1960, est réapparue pour interpréter une nouvelle chanson avec le jeune chanteur en vue Zhou Shen. C’était déjà un événement en soi, mais ça l’est encore plus quand on sait que Teresa Teng est décédée en 1995. Celle qui est revenue ce soir-là devant des dizaines de millions de téléspectateurs chinois, c’est son clone vocal, abrité par son avatar numérique. À vrai dire, son corps était un peu figé dans sa longue robe rouge et on était loin du dynamisme des avatars d’ABBA qui se produisent à Londres depuis 2022. C’est la voix de la Teresa Teng numérique qui était intéressante, présente et pleine de texture, qui anticipait ce qu’il est aujourd’hui très facile à obtenir en fouillant un peu en ligne (lire l’épisode 2, « IA dans la musique : le clone du spectacle »).
Deux ans plus tard, alors que la question technique du clonage d’une voix est réglée, se pose ainsi très intensément celle de sa suite inéluctable : recréer une voix disparue. La famille du rappeur sud-africain Riky Rick a déjà franchi le pas en juin 2023 en publiant Stronger, une chanson fabriquée à partir de messages laissés par l’artiste sur les réseaux sociaux avant son suicide en février 2022, avec l’aide d’un membre de sa famille qui a interprété ce texte avant que sa voix ne soit remplacée. Il s’agissait ici d’alerter sur les ravages de la dépression qui a frappé Riky Rick et la famille s’est tournée pour cela vers l’entreprise ukrainienne Respeecher, spécialiste du clonage vocal dans les secteurs artistiques. « Je trouve que c’est une façon très respectueuse d’utiliser le clonage vocal, estime Alex Serdiuk, le fondateur de Respeecher, dans une interview aux Jours depuis Kyiv. C’est emmener l’artiste plus loin qu’il n’a pu de son vivant, pour dire quelque chose d’important d’une façon touchante. »
Installé en Californie, l’Allemand Stefan Heinrich est déjà prêt. Le nouveau truc de cet ancien de YouTube et de TikTok, c’est de « permettre à tous les gens qui ont de la musique dans la tête d’en faire quelque chose ». Ça se passe sur l’application Mayk.it, mais aussi sur un site qui commence à faire parler de lui,