« Un interprète ne peut pas se plaindre qu’on utilise sa voix pour une œuvre qu’il n’a jamais chantée »
Que peut revendiquer un artiste dont le timbre a été cloné grâce à l’IA ? La professeure de droit Valérie-Laure Benabou raconte un cadre juridique balbutiant.
Chaque révolution de la musique crée de nouveaux usages sans se soucier de leur légalité. C’est la création qui est le moteur, au droit de suivre. C’est comme cela que le sampling de boucles musicales préexistantes a participé à l’invention du hip-hop et de la house music, avant d’être sérieusement freiné par une décision de la justice américaine en 1991 qui a interdit tout sample non déclaré à ses auteurs et compositeurs. Dans les années 2000, c’est le mp3, une technologie de compression du son qui permettait de faire circuler la musique facilement sur l’internet grand public naissant, qui a brisé les monopoles des grandes maisons de disques et enclenché une globalisation de la création musicale dont le streaming est aujourd’hui l’incarnation légale.
Désormais, c’est l’intelligence artificielle (IA) qui ouvre grand les vannes de la créativité artistique en même temps qu’elle pose de multiples questions légales : éducation des modèles sur des bases d’œuvres protégées, fausses chansons de Drake ou The Weeknd, statut des productions créées grâce à cette technologie… et clonage des voix d’artistes vivants ou décédés (lire l’épisode 3, « Je veux hanter pour ceux… »). L’Union européenne arrive tout juste au bout de ses discussions sur une stratégie commune en matière d’intelligence artificielle, qui a été votée par le Comité des représentants permanents des États membres ce vendredi, ce qui ouvre la voie à un vote au Parlement au mois d’avril. Avec ce texte âprement négocié – la France et l’Allemagne voulaient une régulation moins forte – et qui sera une première mondiale, l’Europe compte établir un cadre sécurisé d’usage de ces technologies en même temps qu’une obligation d’information des utilisateurs. Mais il y est très peu question de clonage vocal car il pose des problèmes qui relèvent pour beaucoup de la protection des œuvres et des artistes eux-mêmes. Valérie-Laure Benabou est professeure de droit à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste de la propriété intellectuelle et du numérique. Pour elle, le clonage vocal se glisse aujourd’hui dans plusieurs failles en matière de droit d’auteur.
On ne sait pas aujourd’hui si les droits de la personnalité sont un remède pour créer une protection ou une “réservation”, c’est-à-dire l’exigence d’une autorisation préalable à l’utilisation d’une voix.
Un artiste peut-il protéger sa voix aujourd’hui ?
La question qui se pose, c’est de savoir si les droits de propriété intellectuelle d’aujourd’hui sont susceptibles de couvrir la voix. Et si ce n’est pas le cas, s’il faut en créer de nouveaux. Les droits actuels de propriété intellectuelle qui couvrent la voix sont en nombre limité.