Il y a les appels à la solidarité nationale, il y a un ministre qui rêve d’« un nouveau capitalisme qui soit plus soucieux de lutter contre les inégalités » (Bruno Le Maire, lundi, en mode Che Guevara), et puis il y a la réalité de notre économie, qui repose sur les marchés financiers et la confiance des actionnaires. Malgré l’épidémie, malgré les appels gouvernementaux à « la modération », et même s’ils ne le crient pas sur les toits, les groupes français ne veulent pas renoncer à verser des dividendes cette année. Ainsi, selon le calcul des Jours, c’est 1,8 milliard d’euros que Total va distribuer en toute discrétion, mercredi 1er avril, à ses actionnaires. Le groupe pétrolier, qui verse son dividende en quatre fois et qui a déjà effectué deux acomptes, a maintenu le paiement du troisième, d’un montant de 0,68 euro par action (en hausse de 6 % par rapport à celui de 2018). Pour le plus grand bonheur de ses 450 000 actionnaires, principalement des fonds de pension situés hors de France.
Cette information, ce n’est pas en lisant les communiqués de Total qu’on pouvait l’apprendre. La quatrième compagnie pétrolière et gazière mondiale préfère mettre l’accent sur ses « bonnes » actions. Ainsi, depuis le 23 mars, elle offre des bons d’essence utilisables dans ses stations-service au personnel soignant en France. Une « initiative » qui a reçu un « accueil favorable », selon elle, et a été étendue lundi aux Ehpad. Le cadeau est généreux, mais, le groupe dit qu’il se limitera à 50 millions d’euros. Soit 2,8 % de la somme versée à ses actionnaires… Non, ce versement de 1,8 milliard, c’est en allant sur les forums boursiers qu’on pouvait en entendre parler. Car là, l’inquiétude régnait ces derniers jours sur ce qu’allait faire la compagnie. « Total : le dividende est mort ! », se lamentait ainsi un internaute, tandis qu’un autre pestait contre « un deuxième couteau dans le dos » des actionnaires que s’apprêtait à planter gouvernement, « alors que ce sont eux [les actionnaires] qui soutiennent actuellement le milieu entrepreneurial ». Jusqu’à lundi, le mystère régnait : Total allait-il suivre les recommandations du gouvernement ? Ou allait-il être contraint de le faire si des mesures particulièrement sévères étaient décidées ?

Il faut dire que l’exécutif a évolué rapidement sur cette question. Mardi 24 mars, Bruno Le Maire demandait encore aux grandes entreprises « de faire preuve de la plus grande modération sur le versement de dividendes ».