«Je vois à peine dix personnes sur la journée, soupire Bernard, agent commercial dans une petite Caisse d’épargne déserte d’Île-de-France. À part pour quelques professionnels, comme les gérants de tabac qui viennent déposer leur recette en espèces, je ne comprends pas pourquoi on reste ouverts de 9 h 30 à 16 heures. » De l’autre côté du rideau de fer, l’employé reste pourtant fidèle au poste, comme tous les jours depuis le début du confinement. Au début, il utilisait le flacon de gel hydroalcoolique de son chef. À la fin de la première semaine, des masques sont arrivés, suivis, sept jours plus tard, par des gants. Bernard a beau disposer d’un équipement de sécurité satisfaisant, il a du mal à être serein. « J’ai peur de ramener quelque chose à la maison, de contaminer ma femme, qui a des problèmes de santé, ou ma fille », confie-t-il.
Combien sont-ils à partager la même crainte ? À se demander si leur journée de boulot ne les expose pas au Covid-19 et si rentrer chez eux n’expose pas leurs proches ? Des millions. Les premiers chiffres, servis un peu à la louche par le ministère du Travail, annonçaient qu’environ un tiers des salariés étaient en télétravail, un autre au chômage partiel et que le dernier tiers se déplaçait chaque jour pour aller bosser. Selon une première estimation réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), seuls 8,4 millions des 26,6 millions d’actifs pourraient télétravailler. Quant au chômage partiel, il concernait déjà 5 millions de salariés le 4 avril et la mauvaise blague ne fait que commencer…

Grande distribution, nettoyage, transport, sécurité, logistique, industrie automobile, agroalimentaire, services à la personne… Des salariés de tous les secteurs ou presque sont concernés par la première case de l’attestation, celle qui permet les « déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle ». Impossible de sortir sans, évidemment. « Il faut aussi montrer l’attestation employeur, certains policiers la demandent », prévient Stéphane, patron d’une petite entreprise d’entretien d’immeubles parisiens, qui assure avec trois autres personnes en CDI le nettoyage et la désinfection de trente-six portes d’entrée, interphones et boutons d’ascenseur dans le XVIIIe arrondissement de la capitale. Le quadragénaire s’est démené auprès de ses fournisseurs pour dégoter des lingettes, des combinaisons et des produits détergents plus costauds que d’habitude.