«La réglementation ? Mais c’est fou ! Fou ! Tous les ans, ils nous en remettent une couche ! Qu’est-ce que je raconte… Tous les trimestres ! Comment je fais pour travailler, moi ? Com-ment-je-fais ? S’ils veulent qu’on délocalise en Pologne, il faut le dire, voilà. Si la création d’emplois dérange, nous, on s’en va. » On l’aura compris : Frédéric, patron d’une PME cosmétique du Limousin, trouve que l’exercice de son activité pâtit d’un excès de normes. Interrogé sur le même sujet, Christophe Masson, directeur scientifique de la Cosmetic Valley, lève les yeux vers l’horizon, comme pour évaluer l’altitude de la montagne paperassière, avant de lâcher : « La réglementation est un challenge. Ses durcissements constants nous forcent à nous dépasser. » Traduction : ne comptez pas sur moi pour vous dire que l’administration nous en demande trop, mais tel est bien mon avis.
Restriction croissante sur les allégations santé, dossier d’information produit (DIP) très formel, protocole de Nagoya sur le respect de la biodiversité quand on emploie des produits naturels, interdiction de plusieurs colorants dans les teintures pour cheveux… À première vue, en effet, il pleut des textes. « Les fabricants trouvent toujours qu’il y a trop de normes, tempère Laurence Coiffard, professeur de cosmétologie à l’université de Nantes. Pour ce que j’en vois, ceux de la cosmétique n’ont pas de raison particulière de se plaindre. Leur secteur n’est pas spécialement réglementé. Il l’est sensiblement moins, par exemple, que la pharmacie. »
Par ailleurs, côté cosmétique, aucune décision importante, aujourd’hui, n’est prise sans de longues et minutieuses discussions avec les représentants des industriels. Rien ou presque ne se joue à Paris. Les décisions franco-françaises deviennent rares. Le centre de décision est Bruxelles, terre promise des lobbyistes. Personne ne sait exactement combien ils sont. Au moins 20 000, sûrement davantage. Un chiffre à mettre en rapport avec les effectifs singulièrement minces de la Commission européenne. Elle emploie 32 500 fonctionnaires, moins que la ville de Paris, qui compte 50 000 agents. Même si ceux de Bruxelles sont plus qualifiés, la cause est entendue. L’exécutif européen n’a pas les moyens de remplir ses missions sans aide. Il s’appuie sur les travaux des groupes de pression pour élaborer ses politiques. Compétente en matière de cosmétique, la « DG Sanco », alias Direction générale de la santé et des consommateurs, reçoit, écoute, lit et tranche.