Il y a dix-huit mois à peine, la situation était sous contrôle. Délaissant une presse papier vieillissante, les industriels de la cosmétique misaient tout sur les blogueuses et les youtubeuses. Des dizaines de sites et de chaînes beauté en ligne ouvraient chaque jour. Les postulantes à la gloire se bousculaient au portillon. Dans une ambiance de casting permanent, il suffisait aux marques de choisir les plus prometteuses, puis de les couvrir de cadeaux : échantillons gratuits, invitations au festival de Cannes, voyages à Hollywood et places de concert VIP.
Les professionnels avaient tiré les leçons de quelques bides spectaculaires, comme celui du blog « Claire, le journal de ma peau », ouvert en 2005 par Vichy pour vanter un exfoliant. Pendant les trois semaines que durait le traitement, une pseudo-blogueuse contait le quotidien de son épiderme. Huées des internautes, discrédit, retraite piteuse. Trop léché et terriblement artificiel, le blog de Claire était, de surcroît, superflu. Pourquoi dépenser de l’argent pour créer une fausse « influenceuse », alors que les vraies se bousculent pour collaborer et qu’elles sont crédibles aux yeux du public ? « Au début, explique une agente de blogueuses parisienne, les marques ont eu peur parce qu’elles ne contrôlaient pas tout. En fait, elles se sont vite aperçues que l’esprit critique déserte mécaniquement internet. Quand une fille ne joue pas le jeu, il suffit de cesser de lui envoyer des produits. Si elle doit les acheter pour en parler, elle se lassera vite. Si elle dénigre, une lettre de mise en demeure suffit à la dégoûter. Elles veulent s’amuser, pas se prendre la tête. »
C’est ainsi que le petit monde du marketing de la cosmétique arrive en 2015 à une situation de rêve. 99,9 % des blogs et tutoriels beauté en ligne trouvent les cosmétiques for-mi-da-bles. Les audiences sont hallucinantes. La chaîne YouTube d’EnjoyPhoenix (sous contrat avec Maybelline, propriété de L’Oréal) compte aujourd’hui plus de 2,6 millions de followers (des abonnés). Horia, animatrice de « Un monde au féminin », en revendique 1,4 million. Pareil pour Sananas, de « Beauty et Fashion ». Bien décidée à ne pas reproduire l’accident industriel Michelle Phan, L’Oréal met sur les rails en 2015 une « Beauty Academy », « BeautyTube », pour repérer et formater les youtubeuses beauté de demain, en partenariat avec YouTube.

Hélas, la machine va s’emballer sous l’impulsion des nouveaux réseaux sociaux Instagram et Snapchat.