Je les ai laissés abasourdis. Sonnés. Pendant plusieurs semaines, j’ai suivi des habitants de Chicago, des Noirs et des Blancs, jusqu’à l’élection présidentielle du 8 novembre. La plupart, extrêmement tourmentés par la candidature de Donald Trump et, surtout, par sa popularité (lire l’épisode 8, « La grande trouille »), croyaient tout de même à la victoire d’Hillary Clinton. Certains s’étaient même gentiment moqués de moi car, à l’approche des résultats, j’étais « plus stressée » qu’eux. Le soir du scrutin, j’étais chez Michael, Joy et leurs enfants : une famille blanche, libérale et chaleureuse, très impliquée dans les écoles et la vie de Hyde Park, le quartier de Barack Obama. Au cours de la soirée, j’ai vu leurs épaules s’affaisser. Ils sont restés très silencieux. Alors que les résultats se confirmaient, État après État, j’ai appelé les autres habitants que j’avais côtoyés. Les mots, ce soir-là, ne sortaient pas facilement (lire l’épisode 9, « American Psycho »). Un seul d’entre eux avait voté pour le milliardaire républicain (lire l’épisode 5, « Un trumpiste à Chicago »). Lui aussi a été « très surpris ». De retour en France, j’ai voulu prendre de leurs nouvelles, plus de deux semaines après l’élection. Le choc est-il passé ? Comment se réveillent-ils dans l’Amérique de Trump ?
Leur vocabulaire dans les mails et les échanges téléphoniques relève encore du registre de la peine et de l’émotion : « tristesse », « deuil », « douleur », « dépression », « blessures », etc. Et « colère ». Cela me fait penser aussi à ce que l’on peut lire dans un groupe Facebook privé intitulé « Pantsuit Nation » – en hommage aux tailleurs-pantalons, l’uniforme préféré de la candidate démocrate –, où plus de 3 millions de personnes se consolent de sa défaite. C’est Julia, la fille de Martha – j’avais accompagné cette dernière à Chicago faire campagne pour Hillary Clinton (lire l’episode 1, « À Chicago, les petites mains démocrates ») –, qui m’y a invitée. C’est un gigantesque mur des lamentations. Femmes, descendants d’Hispaniques, musulmans, Afro-Américains, homosexuels qui, se sentant menacés, postent fièrement des photos de leurs familles, y écrivent. Certains comparent leur état de sidération à celui qu’ils ont connu quand une tornade a détruit leur maison ou quand les avions ont percuté les tours jumelles de New York.

Aline est la voisine de Michael et Joy. Elle est blanche, conjugue un boulot de dramaturge et un autre dans le marketing.