Ce mercredi matin, au lendemain du Super Tuesday, une fois achevée cette frénésie d’élections primaires démocrates ayant donné à la surprise générale dix États sur quatorze à Joe Biden, donné pour mort politique dix jours plus tôt, ma conviction était faite. L’ex-vice-président de Barack Obama était « L’Homme qui revient de loin », du nom de cette série culte de mon enfance tirée d’un roman de Gaston Leroux, qui avait passionné la France en 1972. Une date qui tombait bien car c’est celle de la première élection de Joe Biden au Sénat des États-Unis, pour y représenter le Delaware, minuscule État du nord-est du pays, coincé entre Philadelphie et l’océan Atlantique. L’homme qui brigue en 2020 l’investiture démocrate à la présidence contre Donald Trump était déjà un élu national fin 1972… sous Richard Nixon !
Quarante-sept ans de carrière politique à l’échelle fédérale (trente-six de Sénat, huit de vice-présidence et déjà trois d’une troisième campagne présidentielle), qui dit mieux ? Si l’on compare avec Barack Obama, qui a passé un peu moins de quatre ans au Sénat (2005-2008), ou avec Bill Clinton, gouverneur de l’Arkansas pendant douze ans (1978-1980 puis 1982-1992), Joe Biden est le vestige d’un passé politique depuis longtemps révolu et dont il aurait été logique de ne jamais le voir revenir. L’homme a, par exemple, connu et côtoyé les derniers grands élus démocrates ségrégationnistes du Sud, hostiles à l’égalité raciale, comme Herman Talmadge, sénateur de Géorgie de 1957 à 1981, ou James Eastland, sénateur du Mississippi de 1943 à 1978, qui traitait souvent les Afro-Américains de « race inférieure ». Et vous savez quoi ? Joe Biden respectait ces hommes. En 2019, lors d’une levée de fonds, tout en notant leurs profonds désaccords, il estimait qu’à l’époque il y avait de la « civilité » avec ces sénateurs-là, se rappelant ainsi avec émotion que le vieux James Eastland l’appelait toujours « fils ».

Et Joe Biden aimait cette « civilité » lorsqu’il s’agissait de requérir le soutien de James Eastland pour ses propositions de loi. Comme celle en vue d’empêcher l’application imposée par les tribunaux fédéraux du busing, du nom de cette pratique de discrimination positive visant à amener les écoliers afro-américains en autobus vers des écoles fréquentées majoritairement par des Blancs afin d’en finir avec la ségrégation et de permettre la mixité raciale.