Etait-ce une libellule ou un papillon ? Impossible de m’en souvenir précisément. J’ai pourtant eu le temps de le détailler, ce grand et bel insecte peint
Le mouvement, né au Royaume-Uni à l’automne 2018, qui a depuis essaimé dans quelque 55 pays et s’est déclaré publiquement en France le 24 mars 2019 sur la place de la Bourse à Paris, offre une alternative à la dépression, bien mieux que les marabouts de Barbès. XR rassemble désormais des dizaines de milliers de militants, qu’on appelle ici « rebelles », prêts à s’engager dans des actions illégales de blocage d’institutions, d’entreprises, de lieux publics symboliques ou stratégiques comme des ponts, des routes ou des aéroports, pour dénoncer l’inaction face au dérèglement climatique et à l’extinction de la biodiversité. Le mouvement se veut non-violent, basé sur la bienveillance entre les activistes et sans aucune hiérarchie. Ce programme a fait l’effet d’une bourrasque dans le paysage du militantisme. Extinction Rebellion France, parti d’une poignée de motivés, revendique aujourd’hui plus de 10 000 membres. En moins de six mois, des centaines de gens éparpillés et jusque-là inconnus les uns des autres, ont formé ou rejoint des groupes locaux partout dans l’Hexagone, de Dunkerque à Toulouse, d’Arles à Besançon. Les gens qui se retrouvent un jour devant la porte d’XR ont
Un peu comme Alice qui doit plonger dans le terrier derrière le lapin blanc pour entrer au pays des merveilles, il y a une porte pour pénétrer dans le monde d’XR. Elle est numérique, nous y reviendrons dans un prochain épisode. Mais il faut bien faire quelques petits pas pour en approcher. Mettons les nôtres en direction de la permanence du Jardin Denfert, un squat d’artistes installé dans un ancien foyer de migrants du XIVe arrondissement de Paris. XR y tient bureau le dimanche. Car XR recrute. « Je n’aime pas ce mot, mais il s’agit bien de toucher un maximum de gens : si toutes les personnes qui ont signé la pétition de l’“affaire du siècle” participaient à une action quelque part sur le territoire, on pourrait faire le poids », précise Sacha, un prénom qui n’est pas le vrai de cette lumineuse trentenaire aux yeux bleus limpides, accueillant les curieux timides comme les impatients d’en découdre. Atteindre une masse critique constitue l’horizon d’XR. Le mouvement se base sur la thèse d’une chercheuse américaine, Erica Chenoweth, qui a étudié sur plus d’un siècle une centaine de campagnes de protestation, violentes et non-violentes. Elle estime que non seulement ces dernières ont plus de chance de réussite, mais qu’il suffit de mobiliser 3,5 % de la population d’un État pour cela. Pour la France, il faudrait donc que 2,3 millions de personnes participent activement pour que la révolution XR soit un succès.
Tu as une idée ? C’est simple, rapide, efficace et surtout, ça sert à quelque chose. Tu ne passes pas des plombes à jacasser au bistrot, tu n’es pas militant pour te donner bonne conscience.
À qui s’adresser ? Y a-t-il un manuel du petit XR ? « Tu ne trouveras pas de chef, se marre Sacha. Il suffit d’être trois personnes, de respecter les règles et tu peux te revendiquer. » Tout membre d’XR exige ainsi que la gravité de la crise écologique soit reconnue publiquement, que la neutralité carbone soit atteinte en 2025
« Terpsik », 26 ans, « employée », l’a expérimenté récemment. Comme bien des activistes d’XR, elle se présente sous le pseudonyme qui lui sert à naviguer dans les outils numériques de communication mis en place par le mouvement. La jeune femme, rouge aux lèvres et veste treillis au dos, a participé à la « marche du siècle » en mars dernier derrière la banderole Alternatiba, un mouvement citoyen climatique et social, mais a trouvé XR « plus facile d’accès » et apprécié la « culture de la bienveillance ». Elle s’est inscrite fin juillet et s’est jetée à l’eau à peine un mois plus tard en organisant l’action « Notre cœur brûle », une marche suivie d’une danse de certains militants et d’un « die-in »
Depuis la journée de déclaration du 24 mars et plus encore depuis que les médias français ont diffusé les images des militants XR en train de se faire arroser de gaz lacrymogènes à bout portant sur le pont de Sully, en plein centre de la capitale, sous la canicule de juin, ça se bouscule au portillon. Au Jardin Denfert, c’est le cinquième dimanche d’ouverture du petit bureau installé dans une pièce nue et un peu sombre, au bout d’une coursive qui surplombe un jardin. En contrebas, un garçon livre son interprétation
Est-elle prête à enfreindre la loi, comme Extinction Rebellion le requiert ? « J’ai quelques responsabilités, je ne sais pas si je me collerai à la Super Glue sur la porte d’Exxon, plaisante-t-elle, en montrant ses deux filles de 5 et 7 ans. Mais le “die-in” au Muséum d’histoire naturelle, j’ai trouvé ça super ! » Sacha, elle, espère convaincre le plus possible dans les prochains jours. Il faut rassembler les forces pour un « climax » automnal. Les groupes de plusieurs pays se sont en effet coordonnés pour lancer au même moment la « Rébellion internationale d’octobre » (RIO). Dans la bande-annonce de la RIO, sur un fond sonore à mi-chemin entre les tambours du Bronx et la musique de Ben-Hur, défilent des dessins
Qu’il n’y ait pas de programme politique, c’est très bien : ils veulent juste réveiller les gens, ils n’ont pas la prétention de dire quelle est la solution.
Essayons tout de même d’en savoir plus en passant par la case suivante : la séance d’accueil des nouveaux. Ce lundi soir, le groupe XR de Montreuil en organise une, à la Maison ouverte, un lieu de vie des associations locales ouvert par l’Église réformée de France il y a 45 ans. Dans une vaste salle fermée par des rideaux de théâtre écarlates, « Benu » forme un grand U avec trois anciens bancs de prière. « On dirait un peu les alcooliques anonymes », note, amusé, le Montreuillois de 35 ans, qui travaille « dans le cinéma » et libère fréquemment ses soirées pour ces réunions destinées à donner quelques bases aux frais XR. À l’approche de la RIO, l’affluence est telle qu’il s’en tient deux ou trois par semaine en Île-de-France. Ce soir, il faut même scinder les participants, venus pour la plupart en suivant une invitation postée sur Facebook, en deux groupes d’une vingtaine de personnes.
Dans mon groupe sont alignées de nombreuses jeunes étudiantes, mais aussi deux ingénieurs et une ancienne danseuse. « On n’est pas là pour faire l’expertise de ce qu’il faudrait faire, ni la politique écologique du gouvernement. On est un moyen de pression populaire et citoyen qui entre en désobéissance, dans l’illégalité, face à l’urgence de la situation », lance Benu en préambule, sans notes. Voilà qui emballe Martin, un long jeune homme de 27 ans. Il a récemment achevé sa thèse sur l’efficience énergétique des centrales nucléaires puis s’est fait embaucher chez Engie et voit XR comme une sorte de lanceur d’alerte. « Qu’il n’y ait pas de programme politique, c’est très bien : ils veulent juste réveiller les gens, ils n’ont pas la prétention de dire quelle est la solution », remarque Martin, qui avoue être assez réservé de nature, habituellement peu à l’aise avec les collectifs, et pas encore certain d’être capable de prendre des risques.
Moi, j’ai fait des actions XR avec ma gosse : tout le monde peut participer, les jeunes, les vieux, les handicapés.
La question titille tout le monde. « Le but, c’est de faire quelque chose d’illégal et de se faire prendre pour être étendard ? », questionne Killian, un ingénieur en écoconception de Maisons-Alfort. « On n’est pas des martyrs, répond « rouk1 », qui coanime mon groupe. Moi, j’ai fait des actions XR avec ma gosse : tout le monde peut participer, les jeunes, les vieux, les handicapés. » Benu note d’ailleurs qu’XR et l’illégalité ne font pour l’instant que flirter gentiment. « L’Amazonie, c’était presque pas illégal. D’ailleurs, moi, je n’y suis pas allé : des actions comme ça, on en a tous fait 100 000. Les manifs, les pétitions, les marches, ça ne donne rien ! Tout prend du temps et de l’énergie, il faut en garder pour les actions qui ont un vrai grain médiatique et donc de sensibilisation, et ce sont les actions illégales. »
L’actualité vient d’en donner un bon exemple, avec la comparution le 16 septembre devant un tribunal de Roger Hallam, cofondateur du mouvement en Grande-Bretagne et considéré comme une sorte de stratège. Cet ancien agriculteur de 53 ans, arrêté deux jours plus tôt, est accusé d’avoir voulu faire voler des drones au-dessus de l’aéroport d’Heathrow, dans le cadre d’un mouvement issu mais séparé d’XR nommé « Heathrow Pause ». Après avoir déclaré que « l’expansion de Heathrow constitue un crime contre l’humanité, contre la prochaine génération », il a refusé sa mise en liberté sous caution et attend son procès prévu le 14 octobre. Une lettre adressée aux rebelles a été postée sur le site d’XR Grande-Bretagne. Roger Hallam demande aux activistes de se concentrer sur la tâche à accomplir, prévient qu’elle exigera des sacrifices et souhaite bonne chance.
Oui mais alors, à la fin, on fait comment pour s’y mettre ? C’est là qu’il faut suivre le lapin blanc. Extinction Rebellion s’organise via un forum de discussion numérique appelé la « Base ». « Moi, je ne sais pas ce que c’est la Base, ça fait un peu Big Brother ! », lance une mère de famille qui tient son casque de vélo sur ses genoux. Dans le prochain épisode, même si ça fait un peu flipper, Les Jours y plongeront, comme Alice dans le terrier.