
Bullion, We Had a Good Time (Deek Recordings, 2020)
Il y a quelques années, le Londonien Nathan Jenkins, alias Bullion, a décidé de quitter sa ville. De prendre un peu l’air après une décennie bien remplie qui en a fait un nom discret mais très respecté de l’underground électronique, révélé en 2007 par Pet Sounds In the Key of Dee, un mash-up entre l’album phare des Beach Boys et le hip-hop intello de J Dilla. C’est le projet le plus rap sur lequel a travaillé Nathan Jenkins, qui s’est ensuite consacré pleinement à une électronique qui n’a pas arrêté de partir dans tous les sens pour autant. Au fil des sorties, on l’a ainsi vu composer de la pop avant-gardiste à la Arthur Russell (What Does She Know, 2011) reprendre le tube britannique pour enfants Blue Peter (Blue Pedro, 2017), remixer Metronomy et Lee Scratch Perry, ou travailler pour Florence & the Machine tout en se prenant de passion pour l’électronique sud-africaine. Il a aussi fait entendre beaucoup de musiques passionnantes dans une émission mensuelle sur la webradio NTS, bien au-delà de l’électronique.
Bullion a beaucoup donné, beaucoup joué, beaucoup volé de ville en ville pendant ces premières années de sa carrière. Mais sa musique donnait petit à petit des signes de ralentissement, de réduction progressive des tempos comme des moyens. Elle marchait inexorablement vers le minimalisme et le départ de Nathan Jenkins, de Londres vers Lisbonne, devenait, à un moment, très logique. En s’installant au Portugal, Bullion s’est coupé de ses contacts comme de ses habitudes, a abandonné son rythme nocturne pour devenir un producteur du jour, libéré de la nécessaire efficacité dansante que l’on demande à un DJ qui doit tenir une salle en haleine. En 2016, son album Loop the Loop sonnait ainsi comme une exploration à distance de la pop ethnique des années 1980, celle de Paul Simon ou de Peter Gabriel. Cette musique d’une autre époque, où l’on convoquait des musiques traditionnelles de partout pour en faire une sauce artificielle pour l’Occident, devenait dans les mains de Bullion une abstraction bizarre et moqueuse, habitée de guitare jazz, de djembé fantomatique et de saxophone au huitième degré. Ce disque sonnait comme des bribes musicales disparates captées après s’être endormi très tard devant un documentaire consacré au pire de la pop synthétique d’hier ; c’était plus intéressant à regarder exister qu’à écouter.

Les nouvelles chansons tout juste rassemblées par Bullion dans le EP We Had a Good Time sont en même temps la suite de Loop the Loop et un projet complètement différent