
Sun Ra Arkestra, Swirling (Strut Records, 2020)
Cette semaine d’élection américaine, d’attaques terroristes et de reconfinement ne serait-elle pas une bonne cliente pour une retraite vers Saturne ? Toujours là pour satisfaire leurs abonné·e·s, Les Jours vous présentent donc Swirling, le nouvel album du Sun Ra Arkestra, le premier en vingt ans mais au moins le deux-centième enregistrement d’une discographie où on compte en kilos plutôt qu’en heures de musique. Soit une heure et trente-trois minutes de jazz qui swingue autant qu’il gratte et propose ni plus ni moins que d’emmener ses auditeurs voyager dans le cosmos pour réaliser à quel point les Terriens sont fatigants. Et on reste polis.
L’histoire de ce collectif au personnel très changeant, aujourd’hui emmené par le saxophoniste Marshall Allen, 96 ans, commence dans les années 1930 lorsque son créateur, l’Américain Sun Ra, né Sonny Blount en Alabama en 1914, a commencé à développer sa propre musique. Impossible de faire ici une biographie qui rendrait compte de la vie folle de ce personnage unique, élève doué né dans une Amérique qui ne voulait pas des Noirs, pianiste encore plus doué parti vers le Nord et Chicago pour fuir le racisme violent de son Sud natal, fasciné par les big bands de Duke Ellington et Fletcher Henderson, à qui l’Arkestra rend hommage encore aujourd’hui en conservant une sévère discipline de groupe.
Sur sa route de jeune pianiste, celui qui ne s’appelait pas encore Sun Ra a croisé Bill Evans et Coleman Hawkins, s’est fait une petite place dans la scène du jazz le plus libre de son époque, mais en a surtout fait perpétuellement à sa tête. Car la musique de Sun Ra était autre chose dès le début, lui qui dès son enfance expliquait avoir été enlevé par des extraterrestres qui l’ont emmené sur Saturne. Cette histoire était un délire mystique autant qu’une fantaisie théâtrale qui allait avec des accoutrements rutilants sur et en dehors de la scène, mais elle était surtout tenue comme l’est la couverture d’un espion infiltré dans les lignes ennemies : jamais Sun Ra ne s’en départait, qu’il soit en concert, en studio ou devant la caméra. Plus intéressant, elle était la base d’une pensée philosophico-théologique qui mélangeait le rêve d’un futur rutilant, des lectures maniaques de la Bible et l’intellectualisme noir des premières décennies du XX