C’est un duo en vue dans la jeune scène électronique française. À première vue, rien de louche dans ses quelque 80 500 auditeurs mensuels affichés par Spotify. Ce qui veut dire que plus de 80 000 utilisateurs de la principale plateforme d’écoute de musique en streaming mondiale ont écouté au moins un de ses titres au moins trente secondes durant les 28 jours précédents. C’est un petit score de milieu de tableau dans la musique d’aujourd’hui, le duo est présent dans quelques playlists et progresse sereinement de titre en titre. Il a aussi des dizaines de milliers d’abonnés sur Instagram et des millions de vues sur YouTube. Bref, tout est cohérent dans son profil. Sauf un détail qui ne trompe pas quand on traque les écoutes fabriquées, non naturelles, sur les plateformes. En explorant le profil du groupe sur Spotify, on trouve la liste des cinq villes qui écoutent le plus sa musique : Paris, Lyon, Marseille, Lille… et Bogota. La capitale de la Colombie se hisse même en deuxième position, derrière Paris. « C’est le genre de choses qu’on repère tout de suite aujourd’hui, s’amuse Ludovic Pouilly, vice-président de Deezer, chargé de la lutte contre la fraude. C’est une vieille méthode. » En clair, l’achat de streams créés par des robots situés un peu n’importe où dans le monde et souvent dans des pays où tout est moins cher.
C’est l’une des plus anciennes techniques utilisées, dans un arsenal de triche qui s’est sérieusement diversifié ces dernières années et donne de plus en plus de difficultés au secteur, qui tente en ce moment de freiner une fraude qui s’est étendue jusqu’aux artistes les plus écoutés (lire l’épisode 1, « Fraude avec les stars »). Avec des résultats reconnus pour Deezer, de plus en plus convaincants pour Spotify après avoir laissé filer le problème pendant des années… tandis qu’Apple Music et surtout Amazon Music font si peu que même les vieilles techniques y sont encore très efficaces, selon nos informations. Ces trois dernières plateformes ont refusé de répondre à nos questions pour cette enquête.

La première technique de fraude est apparue dès les débuts des plateformes de streaming, à la fin des années 2000. Il s’agissait juste de faire tourner un titre en boucle sans se poser plus de questions pour le voir monter dans les classements. Le compte responsable de ces vraies fausses écoutes pouvait même être gratuit, puisque tous les streams étaient encore décomptés de la même façon à cette époque préhistorique du secteur.