Dans la vidéo publiée fin mai 2018, François Ruffin est enfoncé dans un fauteuil club, son visage éclairé contrastant avec le décor sombre. Pendant près de deux heures, la chaîne YouTube Thinkerview le soumet à la question. « L’Italie ? », où l’extrême droite et le mouvement « antisystème » Cinq étoiles ont remporté les législatives, questionne un intervieweur anonyme. Ruffin soupire : pas son truc de parler d’international autrement que par les accords de libre-échange.
« Israël ? », retente l’animateur.
« Oh non… Next ! », évacue le député au supplice. « Moi déjà, quand on va en Champagne-Ardenne
Comme reporter déjà, François Ruffin avait théorisé son refus de franchir les frontières. Alors que ses collègues du Monde diplo couraient les points chauds du globe, lui serait leur envoyé spécial sur le front de la bataille sociale de la Somme. Lors de son premier mandat à l’Assemblée à partir de 2017, il tient sa ligne (lire l’épisode 2, « Ruffin en bête d’affiche »). Qui aurait imaginé que, six ans plus tard, le 10 octobre 2023, l’Amiénois accorderait au Monde un entretien sur la guerre à Gaza ? Alors que d’autres Insoumis s’embourbent dans des controverses, il donne à la gauche des leçons de « hauteur » et trouve les mots du consensus : « Le soutien aux victimes et à la société israélienne, c’est l’évidence, je m’y associe. Mais le soutien au gouvernement israélien ne doit pas être aveugle. Nous devons poser en permanence comme objectif le cessez-le-feu et la paix. » Non seulement le député bondit hors de son pré carré, mais il se place au-dessus de la mêlée, pèse chaque terme, rassemble. En 2017, quand il préparait les législatives, François Ruffin ironisait dans Fakir, le journal qu’il a créé : s’il réussissait à unir la gauche derrière son nom, alors s’ouvrirait à lui une carrière de médiateur au Proche-Orient. Et vice-versa ?
Fin novembre, son parti Picardie debout ! a ouvert des bureaux à Paris pour accueillir « les bonnes volontés » venues « de militants, d’étudiants, de syndicalistes, mais aussi bizarrement, de hauts fonctionnaires », qui veulent l’aider à « penser, à réfléchir ensemble, comment se structurer et s’organiser », explique François Ruffin dans une vidéo. Ces derniers mois, sa métamorphose est flagrante, sur le fond comme sur la forme. « On parle de plus en plus de lui comme d’un dénominateur commun à gauche », constate un ex-assistant. Certes, « son côté électron libre, pas dans le respect des organisations politiques, ne plaît pas toujours aux états-majors, poursuit-il.