Le mouvement des gilets jaunes est en train de muter. Après plusieurs samedis de colère explosive, des annonces présidentielles survendues (lire l’épisode 9, « Tu bluffes, macronie ») et un attentat à Strasbourg exploité de tous les côtés, la mobilisation marque le pas mais même Emmanuel Macron l’a dit, la France ne reviendra pas à la normale.
Pour le sociologue Patrick Cingolani, le mouvement des gilets jaunes appelle à une transformation profonde de la politique. Spécialiste du travail et des mouvements sociaux liés aux enjeux de précarité, directeur adjoint du Laboratoire du changement social et politique à l’université Paris-Diderot, il est notamment l’auteur de Révolutions précaires, essai sur l’avenir de l’émancipation (La Découverte, 2014). Selon lui, la forme horizontale et sans représentant de la mobilisation des gilets jaunes est typique des mouvements contemporains qui témoignent de l’épuisement du néolibéralisme. Mais de quel projet de société disposons-nous pour le remplacer ?
En quoi le mouvement des gilets jaunes marque-t-il un moment de rupture politique et sociale ?
Ce mouvement pose des questions au sociologue plus qu’il ne donne des réponses. C’est un mouvement qui s’est cristallisé sur le long terme et vient d’exploser. Personne ne sait prévoir quand un mouvement surgit, les sociologues pas plus que d’autres. Le processus ne se déroule pas uniquement ici et maintenant, dans ce que l’on voit du mouvement des gilets jaunes. Depuis une dizaine d’années, et le « mouvement des places », il y a tout un ensemble de dynamiques qui mettent en question un certain rapport à la politique, notamment sa verticalité. À ceci s’ajoute une remise en question de la politique comme stratégie, une conception du politique qui se résume à l’accès au pouvoir. Dans cette critique de la professionnalisation de la politique, la question de la confiscation de la parole est centrale. C’est la représentation qui est en question. Je ne dis pas que les gilets jaunes ont les réponses, mais comme les mouvements des places, ils posent la question de la forme nouvelle de la politique.
Désormais, on est passé dans une dimension symbolique. On est dans une temporalité du combat qui est très différente de celle d’un conflit sur un enjeu social, par exemple.
Le second aspect qu’il ne faut pas oublier, c’est la question criante des injustices sociales, du retour des inégalités qui résonnent très fortement, par rapport aux Trente Glorieuses. Ces injustices se sont par exemple exprimées lors de l’affaire de la Société Générale