Si la fatigue est un symptôme, c’est un symptôme acceptable. « Une manière convenue de dire que quelque chose ne va pas, estime le psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger. Il y a eu la dépression, qui maintenant se déprécie. On parle de burn-out. Il y a des modes. » Le docteur Patrick Lemoine se souvient lui aussi : « Quand j’étais interne dans les années 1970, c’était la tétanie. Puis ça a été la spasmophilie. Il y avait un tableau clinique et on l’enseignait en fac de médecine. Mais la spasmophilie n’existait qu’en France. C’était très culturel. Puis la spasmophilie a disparu. Ça a été la fibromyalgie et la fatigue chronique », raconte le docteur en neurosciences et spécialiste du sommeil. Faire une crise de tétanie est plus rare aujourd’hui. Être triste, en rage, joyeux détonne. Être fatigué passe bien. Être fatigué à cause du travail encore mieux. Arriver au repas de famille les yeux cernés et expliquer qu’on a passé la nuit en bonne compagnie fait moins bon effet. Comment et pourquoi la fatigue est-elle devenue une excuse acceptable ?
D’abord, ça n’est pas totalement nouveau. C’est même le retour d’un vieux concept. À chaque revival, les recherches reprennent, et le passé est convoqué. Dès le IVe siècle, un moine, Évagre le Pontique, a donné un nom à cette difficulté à se motiver et à respecter leur engagement que pouvaient ressentir ses confrères : l’« acédie ». Une « sorte de fort découragement, un sentiment de perte de sens lié aux activités religieuses et à la foi, responsable d’un sentiment de fatigue et de tristesse durable », développe le sociologue Marc Loriol dans son article « Mauvaise fatigue » et contrôle de soi : une approche sociohistorique. Il s’agit plus précisément d’« un relâchement de l’âme qui n’est pas conforme à la nature et ne résiste pas vaillamment aux tentations », selon les termes d’Évagre le Pontique. Le moine en proie à l’acédie est « nonchalant dans la prière et parfois il ne dira même pas du tout les mots de la prière. Car, comme le malade ne se charge pas de fardeaux pesants, ainsi, l’acédiaque ne fait pas avec application l’œuvre de Dieu ». À cette époque, la médecine de son côté considère l’acédie moins comme un vice que comme une maladie. Puis, au XIVe siècle, la notion disparaît au profit de la tristesse et de ses synonymes.

Le XVIIe siècle a ses vapeurs et sa mélancolie. La fin du XIX