«Tu as quel âge ? » « J’ai 16 ans. » La pièce, sans fenêtres, est exiguë. En haut des murs, de larges interstices laissent entrer la rumeur du lieu : éclats de voix, portes claquées, au fond, le ronflement d’une photocopieuse. D’un côté de la petite table, Ousmane, grand échalas en sweat à capuche, encaisse la salve de questions et répond dans un français hésitant. Face à lui, Marion, chignon châtain tenu par un crayon rouge et gilet de laine à grosse maille, tape bruyamment sur son clavier à chacune de ses réponses. Marion n’est pas flic. Elle est évaluatrice au Demie, le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, géré par la Croix-Rouge dans le XIe arrondissement de Paris.
Les Jours ont pu pénétrer les murs de cet organisme peu connu, le seul habilité à recevoir des migrants mineurs à Paris, afin d’assister à des évaluations dans leur intégralité. Ces longs entretiens ont pour objectif de déterminer si Ousmane – et les autres jeunes qui défilent dans le bureau de Marion et de ses quinze collègues évaluateurs – est mineur ou majeur. L’enjeu est crucial. S’il est reconnu mineur, Ousmane sera hébergé dans un hôtel ou un foyer, recevra des tickets à échanger contre un repas, pourra être suivi par un psychologue, aura le droit d’aller à l’école. S’il est déclaré majeur, il risque de se retrouver à la rue, voire, à terme, d’être expulsé de France.
Marion : « Tu avais quel âge quand tu as quitté le Mali ?
Ousmane : 14 ans.
Où est-ce que tu es né ?
En 2002.
Non, je veux dire, dans quelle ville, quel village ?
À Bamako.
Tu as toujours habité à Bamako ?
Oui, toujours j’habite à Bamako. Ma mère aussi habite à Bamako.
Tu vivais dans quel quartier ?
À Sébénikoro.
Est-ce que tu peux m’écrire le nom de ton quartier ici ?
En arabe ?
Euh… en français ?
J’y arrive pas.
Alors en arabe. [Ousmane souffle] C’est pas un test. C’est juste pour être sûre que je l’écrive bien.
Et… toi-même tu vas écrire. C’est possible ?
Est-ce que tu peux essayer d’écrire le nom de ton quartier ? »
Ousmane tient maladroitement le crayon de papier dans son poing fermé. Sur le Post-it violet que lui a tendu Marion, il trace lentement quelques lettres, de droite à gauche.
Marion : « Ous-mane. [Elle sait lire l’arabe]
Ça c’est Ousmane ? [Il a l’air surpris]
Ensuite, tu as écrit quoi ? Relis-moi une fois. »
Marion se penche au-dessus du papier et déchiffre avec son doigt.
« C’est mīm, wāw... nūn [lettres arabes]. Qu’est-ce que tu as écrit ?
Ousmane et Diallo ?
D’accord. Et le nom de ton quartier, tu peux me le redire ?
En fait, j’arrive pas à écrire ça.
Est-ce que tu peux me le dire doucement s’il te plaît, pour que je l’entende bien, que je puisse bien l’écrire ?
Sé-bé-ni-ko-ro.
Sébénikoro, d’accord. C’est un quartier qui est dans Bamako ?
Oui, dans la commune 4. »
Ousmane vient du Mali, comme nombre de migrants mineurs arrivés en France ces dernières années. Selon le rapport d’activité 2017 du ministère de la Justice, le Mali était le troisième pays d’origine des mineurs non accompagnés à arriver en France (16 %) derrière la Côte d’Ivoire (17 %) et la Guinée (29 %). Globalement, l’Afrique de l’Ouest et subsaharienne est la région du globe la plus représentée dans les statistiques. En 2016, 71 % des mineurs venaient d’Afrique (5 680), dont 44 % d’entre eux d’Afrique de l’Ouest, 27 % du Sahel, et 14 % du Maghreb. En 2015, 63 % venaient d’Afrique subsaharienne, 40 % d’entre eux en provenance du Mali.
Lors de l’évaluation, Marion doit réussir à déterminer six points : l’état civil d’Ousmane, ses conditions de vie dans son pays d’origine, la composition de sa famille, les motifs de son départ et son parcours migratoire, ses conditions de vie en France et, enfin, ses projets sur le territoire. Toutes les évaluations menées par le Demie et les autres dispositifs d’évaluation des mineurs en France suivent cette trame. C’est la loi. Même si dans les faits, leur mise en œuvre est « très hétérogène selon les départements », selon un rapport de février 2018.
« Tu as toujours habité dans ce quartier-là ?
J’ai habité cinq ans. Après, je suis venu habiter à Kalaban Koura [un autre quartier de Bamako, de l’autre côté du fleuve Niger].
D’accord. Tu avais quel âge quand tu es allé habiter chez ta grand-mère ?
À 7 ou 6 ans.
C’est ta grand–mère maternelle ou paternelle ?
C’est quoi ?
C’est la maman de ta maman ou de ton papa ?
Mon papa.
On dit “ paternelle” [Marion explique doucement]. »
L’évaluatrice ne hausse pas le ton, prend le temps d’éclaircir les réponses hésitantes d’Ousmane. Pourtant, la barrière de la langue entraîne parfois des incompréhensions.
« À la maison, tu parlais quelle langue ?
À la maison je parlais le soninké, à l’extérieur le bambara.
Où est-ce que tu as appris à parler le français ?
Le français… En fait, je n’aime en France.
Tu es né en France ?
Non. Je n’aime en France.
Ah, tu aimes la France !
Voilà. Et pour cela, le jour où je viendrai en France, je parle français. Je parle comme les Français parce que j’aime bien. »

Marion cherche à établir les conditions dans lesquelles Ousmane a grandi à Bamako, dans le quartier de Sébénikoro.
« D’après toi, il y a des problèmes particuliers dans le quartier ?
Comme des pauvres ?
Je ne te parle pas d’un problème en particulier. Mais d’après toi, est-ce que tu vois des choses qui posent problème ?
Oui, par exemple, quand quelqu’un prend un couteau, il tue tue tue. Ça c’est une solution qui n’est pas bonne.
J’ai pas compris.
Oui, dans le quartier, il y a un jeune comme nous, mais il est plus âge de nous. Il est âgé de 20 ans. C’est un chanteur. [Comme lui] tout le monde prend le couteau. Il y a un couteau on t’appelle, et sisi. Après tu vas frimer…
Ils prennent une drogue ?
Voilà. Tous les enfants du quartier ont commencé à fumer. En fait, moi, ça ne m’intéresse pas.
Et tu penses que c’est à cause de ce chanteur qu’ils font ça ?
Oui, je connais des amis, qui aussi fait ça. Pas prendre le couteau mais fumer un truc.
Comment il s’appelle le chanteur ?
Le nom de ce chanteur, c’est Iba Montana. »
Alors maintenant, on va parler de ta famille. Si c’est un petit peu difficile, tu m’arrêtes. Si tu n’as pas envie de parler de quelque chose, tu me le dis, OK ?
Le son des touches du clavier mécanique ponctue le récit du jeune Malien. Marion ouvre un nouveau chapitre.
« OK. Alors maintenant, on va parler de ta famille. Si c’est un petit peu difficile, tu m’arrêtes. Si tu n’as pas envie de parler de quelque chose, tu me le dis, OK ?
Hmm.
On va commencer à parler de ton père. Comment il s’appelle ?
Il s’appelle Oumar Diallo .
Où est-ce qu’il est ton père ?
Bah mon père, il est mort.
Est–ce que tu peux m’expliquer un petit peu ?
En fait, il était décédé, et moi j’étais pas là. J’étais à Congo.
Il est décédé quand ton père ?
En 2017.
Tu savais ce qu’il avait comme maladie ?
Il avait une maladie de tension.
Qu’est-ce qu’il faisait comme travail ?
Il habitait au Gabon. Il n’y avait pas les moyens dans la famille au Mali.
La dernière fois que tu as vu ton père ?
C’était deux ans. À Bamako.
Comment s’appelle ta mère ?
Bintou.
Où est-ce qu’elle est, ta mère ?
Bamako.
Est-ce qu’elle travaille ?
Et non.
Elle habite avec qui ?
Avec une deuxième maman.
Avec la deuxième femme de ton père ?
Oui, mon père, il avait trois femmes.
Comment vit ta famille à Bamako ? Qui apporte de l’argent pour acheter à manger et le nécessaire ?
C’est moi.
C’est toi ? Mais là, actuellement, tu es en France. Tu sais pas comment ils font ?
Non.
Ton père, il envoyait de l’argent ? Il venait encore au Mali ?
Il venait une à deux fois par an. Quand il venait, j’allais chez ma grand–mère. Je ne sais pas pourquoi il avait un problème avec moi.
Ça faisait longtemps que tu t’entendais pas bien avec lui ?
Non, pas longtemps.
Tu as combien de frères et sœurs ? Même mère, même père ?
Même mère, même père ? Aïssata, elle a 14 ans. Kadidia, elle a 13 ans et Souleymane, il a 10 ans. Tous les trois, ils sont à Bamako.
Il a eu combien d’enfants avec ses deux autres femmes ton père ?
Il a eu trois.
Avec sa première femme ? Et avec sa dernière femme ?
Trois aussi.
OK, alors… l’école !
Bon. C’est un problème avec papa, l’école. Il ne m’a pas mis à l’école, bon.
Tu as été ni à l’école ni à la madrassa ?
La madrassa, j’ai fait un peu. Trois ans, mais je sais pas écrire, j’apprenais le Coran seulement.
Est-ce tu sais pourquoi tu n’as pas été scolarisé ? À Bamako, il y a des écoles gratuites…
Mon père, il voulait je fais l’arabe.
OK, est-ce que tu as déjà travaillé au Mali ?
J’ai appris des métiers, mais jamais ils me payent.
Tu étais apprenti ? De quoi ?
De peintre.
Pendant combien de temps ?
2007, 2008, 2009, 2010, 2011 [Il compte sur ses doigts].
Tu as commencé en 2007 ?
J’étais petit. Il habitait à côté de nous, souvent il m’amenait sur le devant de son vélo pour aller travailler.
Qui ça ?
Le gars-là. Il s’appelle Abdoulaye . Celui qui apprend peinture.
Tu as fait d’autres activités ?
J’ai fait les comptes, comme les calculatrices. Je calcule tout tout tout. Dans les magasins.
C’était quoi comme magasin ?
Alimentation, les téléphones.
Tu devais être bon en mathématiques !
Ouais… »
Est-ce que tu en as parlé à ta mère ?
– Que je suis venu ici ? Et non.
– À ton père ?
– Et non.
Cela fait presque trente minutes que l’entretien a commencé. Dans la petite pièce, sous la lumière des néons, la température monte doucement.
« Pourquoi tu as quitté le Mali ?
[Ousmane rigole] C’est une question, hein ?
Bah ouais, c’est une question !
Comme tout le monde sait. Au Mali, je souffrais là-bas.
Souffrance à cause de quoi par exemple ?
La galère au Mali.
Tout le monde galère en Afrique ?
Oui, toi-même tu sais ça ! [Il rigole à nouveau]
C’est toi qui as décidé de quitter le Mali.
Oui, c’est moi qui ai décidé…
Pour quitter la galère les souffrances ? Est-ce que tu en as parlé à ta mère ?
Que je suis venu ici ? Et non.
À ton père ?
Et non.
Tu en as parlé à qui ?
Mon frère.
Quel frère ?
Celui de la première maman.
Il a quel âge ?
Il est 31 ans.
Pourquoi tu n’en as pas parlé avec tes parents ?
En 2014, j’étais pas bien avec mon papa.
Moi, j’aimerais comprendre un petit peu pourquoi tu parlais pas avec ton père.
[Il rigole à nouveau] Attends, il faut que je bois un petit peu de l’eau. »

Le verre d’eau vidé, son discours s’emballe. Ousmane enchaîne de longues réponses, les plus longues depuis le début de l’entretien. Marion n’a même plus besoin de relancer le jeune homme.
« Bon. En fait mon père, ce que je n’aime pas, c’est que mes trois frères, il a amené à Gabon.
Ses trois premiers fils ?
Oui, amené au Gabon. Ses trois premiers fils. Dix ans avant.
Et donc ?
Moi, il m’a même pas emmené à l’école, il m’a amené seulement à l’arabe. Là, c’est pas bien, je trouve pas de nourriture. Il y a trois ans, j’ai demandé :“Est–ce que mon papa tu vas m’emmener à l’école ? Tu vas m’emmener à l’aventure ?” Je l’ai questionné un jour : “Mon papa, tu n’aimes pas nous ou quoi ?” Jusqu’en 2014, je lui ai demandé : “Est–ce que tu vas m’emmener au Gabon comme mes frères ?”, il a dit non. Je lui ai demandé : “Pourquoi ?” Il a rien parlé. Alors moi je me dis : il faut que je sorte.
En 2014 ?
Non l’aventure, en 2015.
En 2015, tu as quitté le pays. D’accord. Comment tu as payé ton voyage ?
Mon voyage ? C’est mon frère qui m’a donné l’argent.
Combien ?
L’argent ? Je rappelle pas ça. »
Commence alors la longue reconstitution du parcours migratoire d’Ousmane.
« Depuis Bamako, tu es parti où ?
En Côte d’Ivoire.
Depuis Bamako, tu es parti en Côte d’Ivoire ?
Mmh. »
Marion sort une grande feuille vierge pour reconstituer les étapes du voyage.
« Tu es parti où en Côte d’Ivoire ?
À Abidjan.
Depuis Bamako, tu as fait comment pour aller à Abidjan ?
C’est mon frère qui m’a donné l’argent.
Oui mais tu as marché, tu as pris l’avion, le bus ?
J’ai pris le bus.
Tu as pris le bus ? Est-ce que tu sais quand est-ce que c’était en 2015 ?
Non.
Tu es musulman ?
Oui.
Est–ce que tu te souviens si c’était avant ou après le ramadan de 2015 ?
…
Il y a trois ans… Bon, on va faire quelque chose. Le dernier ramadan de cet été, il y a trois mois, tu étais où ?
Le ramadan passé ? J’étais au Congo.
En 2017, tu étais où ?
En Côte d’Ivoire.
En 2016 ?
J’ai pas fait un seul endroit.
Cette année, tu étais au Congo…
Oui…
L’année d’avant, en Côte d’Ivoire… Et donc en 2016, il y a trois ans, où est-ce que tu as fait le ramadan ? Est-ce que tu te souviens ?
J’ai pas compris.
Tu as pas compris ?
J’ai rien compris là [Il montre du doigt la feuille sur laquelle Marion a détaillé son voyage, année par année].
Là, j’ai écrit ramadan 2018 au Congo. L’année d’avant, les fêtes du ramadan, tu les as fêtées en Côte d’Ivoire ?
Non 2017, j’ai fait ça au Congo.
Tu étais toujours au Congo ? D’accord. Et en 2016 ?
2016, j’étais sur la route.
À Abidjan, tu es resté combien de temps ?
Un an, comme ça. Je travaillais, la peinture.
Et après ?
[Ils se déplacent devant une carte accrochée au mur. Il montre du doigt son voyage] J’ai fait Ghana, Cotonou [capitale du Bénin] et Lomé [capitale du Togo]. Puis Nigeria.
Tu as voyagé pendant le ramadan ?
Le temps. J’ai pas de portable. Je travaille pas. Je connais pas les mois.
Alors, au Nigeria ?
J’ai fait dix mois là-bas. Je sais pas trop trop…
Environ ?
Oui.
Est-ce que tu as travaillé pendant ces dix mois ?
Oui.
Dans la peinture ?
Toujours dans la peinture.
Oui.
C’est là que j’ai trouvé le diplôme de peinture…
D’accord. C’est important ça : “Obtient un diplôme de peinture” [Elle écrit].
Il s’appelle comment ton diplôme ?
“Diplôme de peintre”.
Diplôme de peintre. OK. Tu l’as avec toi ?
Les Marocains m’ont déchiré ça. »
Après la description de ses dix mois passés au Nigeria, Ousmane raconte pas à pas sa traversée du Cameroun et son séjour, un an durant, au Congo. Suivent le Maroc, l’Espagne et enfin la France. À Marion, il dit avoir débarqué à Paris le 15 août 2018. Ousmane a déjà passé un premier entretien, ici, au Demie, trois jours auparavant, le 23 octobre. Lors de ce premier entretien, l’évaluateur a estimé qu’il n’était pas mineur. Mais Ousmane est bien entouré : grâce au soutien d’associations, il a réussi à obtenir un second rendez-vous, celui qui se tient aujourd’hui.
Marion lit son dossier et lui fait remarquer qu’il n’a présenté aucun document d’identité lors de son dernier entretien.
« J’ai tout montré.
C’est pas l’information que j’ai. Il est écrit que tu n’as pas présenté de documents d’identité.
C’est qui qui a écrit ça ?
La personne qui t’a reçu il y a trois jours, le 23… La date de naissance aussi n’est pas la même puisque là [elle lit sur son ordinateur]… Tu es né quand ?
C’était août. En fait pas bonne date.
C’est quoi la bonne date ?
[Il montre un des deux extraits d’acte de naissance posés sur la table] L’original… Ouais, c’est ça la bonne date.
Le 26 août ? Est–ce que la date du 19 juin, 19 sixième mois 2002, te dit quelque chose ?
Mmh ?
Moi, j’ai clairement un souci parce que j’ai des dates de naissance différentes. Il y a un document qui dit que tu es né le 26 août. Et quand tu es venu il y a trois jours [elle lit sur son ordinateur], tu n’as pas montré de document et tu as dit que tu étais né le 19 sixième mois 2002. Et le nom de tes parents n’est pas le même. Aujourd’hui, tu m’as dit que ta mère s’appelait Bintou et ton père Oumar Diallo et quand tu es venu il y a trois jours, que tu as été reçu en plus dans ta langue maternelle, en soninké…
Il m’a pas demandé en soninké…
Tu as dit que ton papa s’appelait Ibrahim Diallo et ta maman Coumba.
Coumba, c’est qui ? En fait ce qu’il a écrit c’est, pardon désolé, mais ça c’est n’importe…
Je vais quand même vérifier que… Diallo Ousmane. C’est le 23 que tu es venu ici ?
C’est écrit Diallo Ousmane ?
Oui, c’est écrit Diallo Ousmane. Ah, excuse–moi j’ai un deuxième Diallo Ousmane. Je me suis peut–être un peu avancée… Je vais regarder si c’est le même : “26 août.” Ah ! Excuse-moi. Il y a deux Diallo Ousmane qui sont venus le même jour. Incroyable. Excuse-moi, je me suis beaucoup avancé. [Elle compare les noms des parents] Bintou et Oumar Diallo. Oui ! Désolée. Là, tu avais présenté ton acte de naissance. Effectivement. Et tu as déclaré le 26 août 2002. C’est fou, il y a un autre Diallo Ousmane qui vient de Bamako et qui est venu le même jour que toi ! [Elle rit de la confusion] Je suis désolée. J’ai lancé des accusations à tort. Mais là, je comprenais vraiment pas. Donc la date, c’est ce qui est écrit sur ton acte de naissance : le 26 août 2002. Ça c’est l’original ?
Oui.
C’est la même date qui est écrite sur les deux documents. Alors… Donc, “Ousmane présente deux extraits d’acte de naissance émis le 24 août 2012 et…” l’autre, y’a pas de date. OK. Donc en deux exemplaires. Donc ces documents, tu as voyagé avec. Avant de quitter le Mali, qui te les a donnés ?
Ma maman.
Tu lui as dit pourquoi tu avais besoin des documents ?
Etttt… non.
Non ? Elle t’as pas demandé ?
Elle m’a demandé. Je lui ai dit : “J’ai besoin de sortir.”
Tu lui as pas donné d’explications.
Non. »
L’entretien s’achève. Deux heures viennent de s’écouler. Il fait une chaleur étouffante dans la pièce. Marion pose encore quelques questions sur l’état de santé d’Ousmane. Puis conclut.
« Alors, quel est ton projet en France ?
Projet ? Je fais les mineurs d’abord.
Tu souhaiterais être pris en charge comme mineur.
Après, je fais mon métier.
Peintre ?
Oui, peintre ou un autre métier. Dans la calculatrice. Par exemple des comptes.
Dans la calculatrice ? Dans la comptabilité… OK. Comme je te disais tout à l’heure, ces informations d’aujourd’hui, je vais les envoyer à l’Aide sociale à l’enfance. Je ne vais pas les envoyer aujourd’hui, je vais les envoyer lundi. Parce que là, j’aurai pas le temps de mettre tout ça au propre. Bon, maintenant on va faire un bilan de tout ce qu’on s’est dit. J’ai noté tout ce que tu m’as dit, ton parcours et, comme je t’ai expliqué, je vais y ajouter aussi mon avis. »
Marion s’apprête à lui dire, dans la foulée de l’entretien, si elle estime qu’il est ou non mineur. À suivre dans le prochain épisode.