C’est un petit groupe bien silencieux qui s’est rassemblé devant la grille du Demie, le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, en ce matin d’octobre. L’atmosphère est pesante. On échange à peine trois mots. Parmi la trentaine de jeunes migrants qui sont déjà là, bien en avance sur les heures d’ouvertures du lieu, certains ont même dormi dehors, juste à côté, pour être sûrs de pouvoir se frayer un chemin vers l’une des sept salles d’évaluation. Depuis le début du mois, ils sont beaucoup trop nombreux pour le petit Demie.
Alors, la plupart des jours, à l’entrée, les agents de la Croix-Rouge notent les noms, établissent des listes. À certains, ils donnent rendez-vous l’après-midi, à d’autres le lendemain pour un entretien. « Le flux, franchement, c’est dur à gérer, soupire Aminata, évaluatrice au Demie depuis mars 2017. Hier ou avant-hier, ces jeunes qui essayaient de rentrer et qui me regardaient comme ça… J’avais l’impression d’être à une frontière. Et ça m’a peinée. On sent dans leur regard qu’ils ont envie de rentrer, comme si c’était la délivrance, le moment où ils se disent : “C’est bon, je suis sauvé.” C’est hyper impressionnant. Et ça bouffe un peu. »

Aminata est loin d’être insensible aux personnes qu’elle traite. D’ailleurs, « bosser avec les mineurs isolés, c’était un choix, affirme-t-elle. J’ai toujours trouvé que c’était des “usagers” très particuliers, mais dans le sens positif du terme. Des jeunes arrachés à leur pays, leur famille, et qui arrivent quand même à s’intégrer, et qui ont cette force en eux. » L’évaluatrice de 34 ans, mariée, deux enfants, travaille dans le social depuis douze ans. Avant le Demie, elle a accompagné pendant huit ans des jeunes placés par l’Aide sociale à l’enfance dans un service d’accueil d’urgence. Aminata a le cuir épais. Pourtant, « l’année dernière quand il a neigé, c’était difficile d’imaginer ces jeunes dehors. Là, s’il commence à faire froid, il va falloir qu’on trouve vite une solution, qu’on change de locaux, parce que c’est pas possible de laisser des jeunes dehors », martèle-t-elle, franche et vive. Et puis sa voix fléchit : « Moi, ça me travaille. Parce que je les vois quand je pars le soir. Je ne baisse jamais la tête. Je leur dis au revoir ou bonjour. Ils ne sont pas invisibles pour moi, mais je me sens tellement impuissante. »
Avec sa robe noire à pois blanc sur des leggings noirs, ses cheveux châtains attachés par un crayon rouge et son gilet de laine à grosses mailles, sa collègue Marion a un look de lycéenne en section littéraire. Elle a commencé dans le métier avec un stage dans une association de solidarité, en 2012, à France terre d’asile.