«Tu lui aurais donné quel âge, toi ? » « Ouh, mais je pense qu’il a au moins 25 ans, lui. » Devant les larges portes vitrées du Demie – le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés, dans le XIe arrondissement de Paris –, Marion et Aminata fument une cigarette. Les deux évaluatrices décompressent après leurs entretiens de l’après-midi. Il est bientôt 17 heures, l’heure de fermeture. Dans les couloirs étroits du centre opéré par la Croix-Rouge, le flot des jeunes se tarit. En route vers la sortie, la longue silhouette d’Ousmane file devant les jeunes femmes. Marion baisse le ton. Puis reprend : sur le cas du jeune homme qu’elle a interrogé deux heures durant (lire les épisodes 1 et 2), elle n’a « aucun doute. »
Pourtant, dans la petite salle surchauffée, il avait posé devant elle deux extraits d’acte de naissance indiquant qu’il avait 16 ans. Pour Marion, impossible de conclure à la véracité des papiers. D’ailleurs, ce n’est pas son rôle, tranche-t-elle : « Les documents, nous, on ne s’y fie pas. On ne fait pas d’authentification de documents. » Face à l’évaluatrice, seule la cohérence de l’histoire racontée, la posture, comptent. L’apparence aussi. « On ne va pas se voiler la face, quand on a quelqu’un face à nous, bien sûr que son allure va jouer, admet Marion. Même si on sait qu’on reçoit beaucoup de jeunes qui sont marqués physiquement par des parcours migratoires ou des vies difficiles au pays. » Malgré l’intervention de deux membres des associations Parrains par mille et Infomie, ainsi que de la mairie de Paris, pour qu’il soit évalué une deuxième fois par le Demie, Ousmane n’aura pas convaincu la jeune femme. « Je n’ai aucun élément concret qui me permettrait de dire quel âge il a, mais je serais très très étonnée qu’il ait 16 ans », insiste-t-elle. S’il veut être reconnu mineur, et donc bénéficier d’un hébergement, d’une scolarisation, et de tickets à échanger contre des repas dans des restaurants partenaires du Demie, il devra former un recours auprès du juge des enfants.

Depuis janvier 2016, Marion, Aminata et leurs collègues se chargent de faire le premier tri à Paris afin de déterminer qui est mineur et qui ne l’est pas. En 2016, 3 731 jeunes se sont présentés au Demie, et plus de 6 700 en 2017. Pour 2018, la mairie de Paris a même enregistré un nouveau record : 7 367 évaluations réalisées par le Demie. Depuis deux ou trois semaines, recevoir tout le monde devient donc compliqué