Ce jour-là, Serge s’est installé derrière son ordinateur pour un entretien. Il a lancé l’enregistrement, a déroulé son discours d’introduction et posé les premières questions. Devant lui, face à l’interprète, Mamadou a livré ses premières réponses. Et le brouillard s’est posé sur la petite pièce. Après avoir fui son pays et traversé la moitié du globe, Mamadou a embarqué sur un bateau il y a trois ans. Ou bien était-ce il y a cinq ? Mamadou n’est pas sûr. D’ailleurs, il n’a pas l’air de bien comprendre les questions que lui pose Serge, parfois trois ou quatre fois de suite. Quand il répond, c’est souvent à côté de la plaque. Sa vie d’adulte n’a été qu’une succession de traumatismes. Alors Mamadou ne se rappelle plus trop les détails. Son récit est décousu, sans chronologie. Serge doute. Pour lui, c’est le pire des scénarios.
Serge est officier de protection (OP), après avoir été bénévole dans des associations d’aide aux migrants pendant des années. Son métier consiste à entendre les demandeurs d’asile à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Cet établissement public est né en 1952 dans le sillage de la Convention de Genève qui définit les droits des réfugiés. S’il est placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, son indépendance est inscrite noir sur blanc dans la loi depuis 2015. En clair, aucun Président ni aucun gouvernement ne peut pousser l’Office à accorder l’asile aux ressortissants d’un pays ou à le refuser au nom d’une relation diplomatique à chérir ou, au contraire, à durcir.
Quand les demandeurs poussent la porte du grand immeuble vitré de Fontenay-sous-Bois, ils ont déjà parcouru un petit bout sur le chemin de la demande d’asile. Envoyés par une structure de premier accueil vers la préfecture, ils ont déposé leurs empreintes digitales, enregistré leur demande d’asile, et obtenu un récépissé, petit bout de papier précieux qui les protège de l’expulsion le temps de la procédure. Dans les 21 jours suivant leur passage à la préfecture, ils ont envoyé à l’Ofpra le récit en français des craintes de persécutions dont ils se disent victimes. Puis ils ont attendu leur convocation. Le jour-dit, ils se sont retrouvés dans un petit box vitré face à Serge ou à l’un de ses collègues.

Cet automne, durant trois longs échanges avec Les Jours en dehors des murs de l’Ofpra – où nous n’avons pas été autorisés à entrer –, Serge a défini les contours de son métier : établir avec le plus de certitude possible la nationalité et la véracité de l’histoire des demandeurs, évaluer les risques encourus, et décider enfin s’ils pourront bénéficier de la protection de la France.