Imaginez : vous êtes enquêteur, vous vous pointez le matin au bureau et devant les grilles attendent des hordes de fans. Pourtant vous êtes sûr qu’aujourd’hui, aucune star n’est attendue, c’est le genre de nouvelle qui se répand vite dans une brigade. Mais les « poupettes » sont là, les fans d’une influenceuse, Poupette Kenza, devant les locaux de la Répression des fraudes de Caen. La starlette les a prévenues : ce matin, elle doit être auditionnée. Alors un comité de soutien s’est formé spontanément pour accompagner celle qui, à force de raconter sa vie à ses millions d’abonnés sur les réseaux sociaux (6,9 millions sur TikTok, 1,3 million sur Snapchat, 932 000 sur Instagram), est devenue presque une intime. Évidemment, Poupette Kenza a fait une story avec ses soutiens avant d’entrer dans le commissariat, c’est tout juste si on n’a pas eu droit à un live de l’audition
Des auditions de ce type, il s’en déroule plusieurs en France chaque mois. Souvent, elles suffisent à rectifier le tir : si l’influenceuse ou l’influenceur concerné supprime les contenus litigieux et améliore ses pratiques, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) se contente d’une injonction à se mettre en conformité. Elle a suffisamment à faire avec la multiplication des publications problématiques sur les comptes à plusieurs millions d’abonnés : promotion de la chirurgie esthétique, arnaque au compte personnel de formation, diffusion de fausses informations sur des compléments alimentaires ou de régime, incitation à souscrire à des produits financiers risqués ou frauduleux… La tâche est immense.
Une tâche immense, et silencieuse. Car les actions menées par ces enquêteurs se font dans l’ombre. En discutant avec les agences, influenceurs ou lanceurs d’alerte, on prend conscience que les agents de la Répression des fraudes rôdent dans l’ombre. Magali Berdah, la papesse du secteur, reconnaît volontiers « avoir appris plein de choses grâce à eux, et même, heureusement qu’ils sont là ! », nous confie-t-elle.