On ne va pas se mentir : leur vie, c’est Dallas. Pire : un mélange de Dallas, Santa Barbara et Hélène et les garçons. La jalousie, la compétition acharnée, la haine, le harcèlement, les coups bas tournent à plein régime derrière quelques amitiés de façade et la bonne humeur apparente. Et pourtant, on parle d’enfants qui jouent, déballent des cadeaux, se font des pranks (des canulars) et se lancent des défis souvent un peu stupides dans des vidéos dont l’ambiance se rapproche plus des Télétubbies.
Filmée dès qu’elle franchit le seuil de la porte, Kalys, 16 ans, vit sous l’œil de la caméra de son père Michaël depuis ses 7 ans. Ce jour-là, elle est cueillie à son retour du lycée alors qu’elle déchausse ses baskets au pied d’un spot de studio qui éclaire le salon, et découvre que tous ses mangas ont disparu de sa chambre. Son père, qui la suit smartphone au poing et secondé par Athéna, la petite sœur, lui raconte un bobard loufoque sur une association qui combattrait les tics de langage, et à qui il aurait fait don de ses livres. La jeune fille semble exaspérée, elle tourne en rond, se retient de jurer. Car peut-on laisser aller sa colère quand on sait que la vidéo va être regardée par plus de 100 000 personnes sur YouTube ? Ça, c’est un canular censé être amusant, dont les abonnés raffolent et qu’ils réclament en commentaire. On trouve ce type de vidéos dans une infinité de déclinaisons, depuis « j’ai mangé tous tes bonbons » jusqu’à faire croire à un enfant de 4 ans qu’il a réellement coupé la main de son père avec sa scie en plastique, à l’aide d’une fausse main ensanglantée (et devinez quoi : oui, le gamin pleure et tremble).
Ces vidéos font des centaines de milliers de vues. Elles génèrent en conséquence beaucoup d’argent pour les auteurs. Le trio composé de Michaël, Kalys et Athéna porte un nom et une raison sociale : Studio Bubble Tea, 1,84 million d’abonnés sur YouTube. Face à eux, une fratrie masculine : Swan et Néo, 11 et 18 ans aujourd’hui, Français eux aussi. Ils sont arrivés un an plus tard, en 2015, mais ont écrasé leurs concurrentes avec 6,29 millions d’abonnés sur leur chaîne YouTube principale. Le principe des chaînes est le même : des enfants qui jouent, semblent avoir une vie idéale tout en gagnant beaucoup d’argent grâce à la publicité insérée durant ces films d’une dizaine de minutes. Selon Envoyé Spécial en 2018, le revenu mensuel de Bubble Tea oscillait entre 10 000 et 50 000 euros. Celui de Swan et Néo dépasserait les 100 000 euros.
En 2020, un député de la majorité, ancien prof d’histoire-géo, s’empare du sujet.