La voix d’homme un peu nasillarde chante : « Black, black, black, is the color of my true love’s hair. » Elle est hésitante ; elle garde les consonnes au fond de sa gorge comme s’il était trop tard dans la nuit pour chanter pleinement cette rengaine sans âge rapportée aux États-Unis par des immigrants d’Écosse ou d’Angleterre. C’est une chanson qui fut popularisée par Nina Simone en 1959, mais elle est ici chantée un an plus tôt par Pete Seeger, l’infatigable activiste de la musique populaire américaine. Au début, il se lance a cappella, puis un clavier le rejoint, qui semble venu directement du futur. Là, la chanson s’élève d’un coup ; la voix se démultiplie dans des tonalités changeantes, se fait plus aiguë dans le fond. Tout tourbillonne en douceur. Des violons et des cordes entrent à leur tour, qui semblent jouer une autre chanson en progression bizarre. Et pourtant, tout cela s’assemble admirablement, avec une légèreté qui est à la fois anormale et touchante.
Sortie en octobre 2019, cette magnifique version de Black Is the Color of My True Love’s Hair est le travail d’un musicien français discret, Benoît Carré, alias Skygge, et elle est importante. C’est l’une des premières œuvres pop réussies, en même temps stimulante artistiquement et d’une beauté facile d’accès, à avoir été créée avec une intelligence artificielle (IA). C’est-à-dire avec un ordinateur capable de créer de la musique de façon autonome pour enrichir le travail d’un musicien.