C’est elle qui, depuis décembre qu’a démarré la série Ici Téhéran, a choisi le pseudonyme de « Mahsa », en hommage évident à Mahsa Jina Amini, jeune étudiante morte le 16 septembre 2022, trois jours après avoir été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés », marquant le début d’une révolte inédite en Iran. Mais « Mahsa » a quitté Téhéran en janvier dernier pour rejoindre la France, où sa demande d’asile est en cours. Elle est dehors ; lui est dedans. « Kaveh », un ami de Mahsa (c’est également un pseudonyme), va poursuivre pour Les Jours l’indispensable témoignage de ce qui se passe aujourd’hui en Iran. Pour l’occasion, l’une et l’autre racontent : Mahsa, d’abord, depuis la France ; Kaveh, ensuite, depuis Téhéran.
«En partant de Téhéran, je me suis désabonnée de tous les sites où je m’informais sur la situation en Iran. D’abord pour des raisons de sécurité et ensuite parce que j’avais besoin de prendre de la distance, c’était trop pénible. Dès que je suis sortie d’Iran, j’ai ressenti énormément d’énergie, je crois que je n’avais pas voulu m’avouer que j’étais très déprimée, en fait. Les semaines qui ont suivi mon arrivée en France, c’était un peu comme une cure de désintoxication : oui, j’ai une obligation sociale en tant que femme iranienne mais il fallait aussi que je prenne soin de moi.
Je suis partie en résidence artistique à l’étranger où j’ai été coupée naturellement de toute l’actualité en Iran et c’est ce qu’il me fallait pour retrouver ma créativité et le goût de vivre. En Iran, je l’avais perdu le goût de vivre, mais je ne m’en suis aperçue qu’en quittant mon pays. J’ai compris que j’avais aussi le droit d’être heureuse malgré ce qui se passe en Iran. Auparavant, quand je quittais l’Iran, je me justifiais tout le temps : “Oui, je suis Iranienne mais je ne suis pas une représentante du régime.” Maintenant, les gens savent ce qui se passe. Après, quand je dois montrer mon passeport, je ne peux pas m’empêcher de dire “désolée pour le hijab” quand on voit ma photo. Avant les événements en Iran, quand je voyais des femmes voilées à l’étranger, je me disais “bof, question de culture”. Aujourd’hui, j’ai un mouvement de recul, un malaise mais je me dis “non, non, Mahsa, ne sois pas comme ça !” Quand on sait que tout ça part d’une idiote histoire de cheveux, quand même…
L’autre jour, à Paris, je suis sortie du métro Filles du Calvaire au milieu d’une manifestation. Mon cœur s’est mis à battre vite.