«Je vous souhaite une bonne continuation dans vos démarches et une bonne intégration. » Une nouvelle vie commence en France ce mardi 4 octobre pour les Jaamour, à l’issue d’un parcours qui, souvent, a semblé interminable à cette famille venue de Syrie. C’est par ces mots que « l’auditrice asile » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) achève l’entretien avec Souhayr et Mahmoud Jaamour ainsi qu’un de leurs fils, Tammam, 19 ans. Ils se lèvent et rejoignent les trois autres enfants Jaamour, mineurs, qui sont restés dans la salle d’attente de la préfecture. Les démarches du jour ont occupé une bonne partie de la matinée et symbolisent une nouvelle étape cruciale dans la vie de la famille : après un long exil, c’est l’asile des Jaamour.
Ils ont quitté leur pays natal en février 2016. Souhayr et Mahmoud ont d’abord traversé la Turquie, à pied et en bus, avec quatre de leurs fils : Tammam, 19 ans, Wissam, 15 ans, Eslam, 13 ans, et Aram, 4 ans. Après un effroyable trajet dans un zodiac surchargé, ils sont arrivés sur l’île de Kastelorizo, en Grèce. Transis de froid, mais sains et saufs. Là, ils ont été enregistrés par la police grecque. Ils ont alors pu prendre un ferry pour le port du Pirée, à Athènes. C’est là que je les ai rencontrés – ils venaient de débarquer et avaient planté des tentes données par des associations d’aide d’urgence aux réfugiés. Depuis, Les Jours ont suivi leur périple et chacune de leurs péripéties. Les Jaamour ? Une famille de migrants comme beaucoup d’autres, fuyant la guerre, les bombardements, les agressions et les kidnappings en Syrie, en Afghanistan, au Congo, et qui a vu, sous ses yeux, les portes de l’Europe se fermer.
En mars, les Jaamour pensaient rejoindre Houmam en Allemagne. Le deuxième de leurs fils a fui la guerre avant eux ; il est désormais dans la banlieue de Stuttgart (lire l’épisode 8 de la saison 1, « Houmam, le Jaamour solitaire »). Mais à peine étaient-ils débarqués en Grèce que l’Union européenne, signait, le 18 mars, un accord avec la Turquie pour fermer ses frontières. Au final, la Grèce s’est transformée en prison à ciel ouvert pour les Jaamour comme pour des milliers de réfugiés. Selon le gouvernement grec, près de 60 000 migrants seraient actuellement bloqués sur le sol hellène.
Les Jaamour ont très vite compris que poursuivre par la route des Balkans était une tentative vaine. Elle signifiait le recours à des passeurs pour un coût exorbitant, avec une probabilité faible d’arriver en Europe du Nord. C’était aussi mettre leur vie et celle de leurs enfants en péril. Ils ont préféré tenter la « relocalisation ». Certes, cette « voie légale d’immigration » les a cloués sur le sol grec pendant six mois environ. Elle les a aussi empêchés de gagner le pays vers lequel ils souhaitaient initialement se diriger, l’Allemagne, pour rejoindre Houmam. Mais ils sont tous « contents d’être en France ». Ils sont arrivés le 20 septembre à Saint-Nazaire et ont été, comme tous les réfugiés relocalisés, pris en charge par une structure communale. Pour les Jaamour, c’est l’association Les Eaux vives qui les accueille depuis leur arrivée dans un Cada, un Centre d’accueil de demandeurs d’asile – en l’occurrence, un appartement avec trois chambres dans un petit immeuble du centre de Saint-Nazaire. Ce jour-là, David Samzun, son maire, me rappellait la devise de la cité portuaire : « Aperit et nemo claudit », « Elle ouvre et ne ferme pas » (lire l’épisode 15, « Et enfin, la France »).
Les Jaamour prennent leurs marques. Tout doucement. Pour la première fois depuis leur fuite de Syrie, ils ont pu se poser, ni sous une tente, ni entassés dans une chambre d’hôtel mais dans un appartement à eux. Et cela change tout. Souhayr, la mère, dort beaucoup. Comme pour rattraper ces huit mois aux lendemains incertains. Mahmoud, comme à son habitude, prépare les repas, cela rythme les journées. Dans l’appartement, la télé est souvent allumée, c’est une première fenêtre sur ce pays dont ils ne connaissent encore pas grand-chose. Une à deux fois par semaine, ils vont chercher de la nourriture au Secours populaire ou aux Restos du cœur. Mais en dehors de l’administration et des bénévoles de l’association qui s’occupent d’eux, leurs contacts avec d’autres personnes sont encore limités. En tout cas Mahmoud et Souhayr. Ils ont pu sympathiser avec une autre famille syrienne, arrivée en France il y a neuf mois. Aram a pu voir d’autres enfants. Depuis le départ de Syrie, le plus petit des Jaamour a perdu le cadre de vie de l’enfance. Déboussolé, il est de plus en plus agité. Mahmoud dit qu’il a hâte de le voir scolarisé, ainsi qu’Eslam, qui n’a pas vraiment d’occupation et attend avec impatience l’école pour tisser de nouveaux liens. Pour les deux plus grands, les ados, les premiers pas en France sont plus faciles. Wissam, inscrit au club de foot du quartier, s’est déjà fait des copains et arrive à s’exprimer un peu en français. Tammam a commencé le lycée il y a dix jours. Mais il manque encore aux Jaamour des papiers pour officialiser l’arrivée sur le territoire français.
Ce à quoi ils se sont attelés deux semaines après leur arrivée à Saint-Nazaire. Le 4 octobre, ils se sont lancés dans les premières démarches administratives en vue de l’obtention de leur statut de réfugié. Avec une autre famille elle aussi relocalisée à Saint-Nazaire. Ils sont arrivés un peu en retard à la préfecture de Loire-Atlantique, à cause de la circulation. Au volant de la camionnette conduisant les Jaamour : Henri Loua, leur « référent social » des Eaux vives, un homme jovial et efficace. Étape administrative numéro un de la journée : le « guichet unique » auprès duquel est effectuée la demande d’asile.
Dans un bureau, trois fonctionnaires recueillent l’identité des réfugiés, leur rappellent les procédures à effectuer, récoltent leurs empreintes digitales dans le système Eurodac afin de s’assurer qu’ils n’ont pas demandé l’asile dans un autre pays de l’Union européenne. Toutes ces étapes se font sans interprète. Alors les fonctionnaires font marcher le système D, mimant parfois les gestes à effectuer, mais « nous trouvons toujours quelqu’un qui parle français ou anglais et qui traduit en arabe, ou dans la langue en question », explique l’un d’eux.
C’est l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui garde, in fine, la main sur la décision finale en accordant – ou pas – l’asile aux migrants arrivés sur le territoire. En fait, le processus de relocalisation a permis à ceux arrivés en France par cette voie de gagner un peu de temps dans les étapes à franchir. En Grèce, ils ont déjà été auditionnés par l’Ofpra, et l’Ofii a déjà eu connaissance de leur dossier. Désormais, les Jaamour doivent rédiger un dossier important à envoyer à l’Ofpra dans un délai de 21 jours – tout retard entraînant une annulation de la demande d’asile. Outre les éléments habituels tels que l’origine, les dates de naissance, etc. Ils doivent rédiger, dans leur langue maternelle, « le récit de leur histoire ». Une fois reconnus réfugiés par l’Ofpra, les Jaamour obtiendront une carte de résidence pour dix ans en France. Délai moyen de réponse : six mois. En attendant, ils ont le statut de demandeurs d’asile.
Étape numéro deux : les Jaamour rencontrent l’Ofii. Et c’est reparti : noms, prénoms, dates de naissance, nationalité... Et puis, il faut « certifier sur l’honneur les informations communiquées ». Au téléphone, un interprète décline en arabe les informations demandées mais les Jaamour semblent ne pas avoir besoin de lui, connaissant maintenant les mots et le déroulé, anticipant parfois la traduction. Anne Fabry, la directrice territoriale de l’Ofii, en explique les buts aux Jours : « Nous effectuons un entretien de vulnérabilité et expliquons les conditions matérielles d’accueil. » Les droits et les devoirs du demandeur d’asile, en quelque sorte.
Car les Jaamour ont aussi à régler d’autres urgences, matérielles celles-ci. Ils ont un toit à Saint-Nazaire mais ils n’ont plus un centime. Et, en tant que demandeurs d’asile, ils ne sont pas autorisés à travailler. Mais ils ont droit à une allocation pour demandeur d’asile (l’ADA). Pour l’ensemble de la famille Jaamour, l’allocation s’élève à 23,80 euros par jour. « Mais souvent, il faut entre quatre et six semaines pour que la première allocation soit versée », précise Henri Loua. L’allocation est déposée sur un compte sur lequel les Jaamour peuvent piocher avec une carte bancaire, mais celle-ci ne permet pas de payer chez les commerçants, uniquement de retirer du liquide, deux à trois fois maximum par mois. Le budget s’annonce serré. Malgré tout, les Jaamour sourient. « Chaque jour, nous nous installons un peu plus », explique Tammam. Avant de signer l’attestation de demande d’asile que l’auditrice tend à chaque membre majeur de la famille, il relève que son prénom a été écorché : « Tamman », est-il écrit. Il s’en inquiète. La préfecture va rectifier. Il est 12h30. Retour à Saint-Nazaire.
Je ne veux pas partir, je veux retourner à la maison.
Le soir, Souhayr me raconte que dans la voiture les menant à Nantes, Aram, le plus jeune des fils, s’est mis à pleurer à chaudes larmes : « Je ne veux pas partir, je veux retourner à la maison. » Il n’avait pas compris qu’il ne s’agissait que d’une étape administrative. Pour lui, c’était encore un déménagement. De retour à Saint-Nazaire, il était content de retrouver l’appartement et les quelques jouets qu’il a apportés avec lui. Il n’est toujours pas scolarisé : la personne en charge de la scolarisation à la mairie est en arrêt maladie et n’est pas remplacée. Tammam, lui, fréquente déjà le lycée expérimental de Saint-Nazaire, en attendant de pouvoir étudier. « Je suis très content d’aller au lycée. J’ai retrouvé un rythme, ça me permet de me faire de nouveaux amis et d’apprendre le français », explique le jeune homme. Jeudi dernier, Wissam et Eslam ont passé les tests pour évaluer leur niveau scolaire, ils attendent les résultats. Quant à Souhayr et Mahmoud, ils souhaitent suivre au plus vite des cours de français.